Fartlek

Fartlek

Courir, je fais cela depuis des lunes. Gamin, déjà, je décollais sur les chapeaux de roues, absorbé entièrement par une idée : m’épuiser. Car, bien avant d’affirmer « je cours », je pensais platement : « je m’entraîne ». J’allais vite, toujours, et longtemps. M’échappaient tout à fait les notions d’économie, de rythme, de cadence et, ironiquement, je bafouais les fondements mêmes de l’entraînement. La plupart des jours, mes sorties faciles étaient de trop longs tempos – la base, pensais-je, de la pyramide nommée tour à tour « Entraînement – Forme – Athlète – Souffrance – Olympiques » – tempos dans lesquels je jetais une fois sur deux (en vérité deux sur trois) le plus grand nombre d’intervalles. Je quittais la maison et confluais naturellement avec la rue à l’horrible nom, avenue Donegani, celle qui longeait le chemin de fer traversant d’un océan à l’autre cet immense pays inconnu. À l’est dominaient un immense parc et son petit boisé; à l’ouest, quelques côtes et l’éden vert du Club de golf Beaconsfield. À l’est, intervalles courts; à l’ouest, intervalles longs. Le hasard en décidait.

Ma Timex indiquant 52 minutes, je prolongeais de huit, car à l’heure seulement j’établissais le seuil aléatoire de toutes choses. Les braves qui s’en tenaient à leur mince demi-heure, à trois quarts d’heure, qui s’en félicitaient sous mes yeux étonnés, mon esprit accusateur les reléguait dans l’arrière-fosse de l’oubli. J’étais vraiment en forme, j’étais bien jeune.

J’étais jeune, mais j’empruntais déjà de singuliers chemins, détours aux accents adultes : à l’ami qui m’appelait un samedi matin pour « jouer » et faire ce qu’entreprennent tous les garçons désœuvrés de notre âge, j’opposais un refus, jouant mon sempiternel joker : « désolé, je dois m’entraîner ». D’autant que la fin de semaine signifiait longue sortie et, quels que soient le véhicule – course à pied, ski de fond, ski à roulettes, vélo – et la saison, je m’enfermais résolument dehors. (Je salue Jon qui aurait pu, les premières années, faire de même et claquer portes et fenêtres de notre amitié, édifice par mes fugues et errements longtemps négligé.) Mon terrain de jeu était ailleurs, dans le quadrillage de Pointe-Claire et des agglomérations avoisinantes, sur le bitume chaud, le long du fleuve Saint-Laurent qui dans son enflement s’appelait chez nous lac Saint-Louis. Mes compagnons, eux, s’appelaient Lance Armstrong, Bjørn Dæhlie, Steve Préfontaine, et Antoine, mon frère jumeau qui s’entraînait aussi, était des « nôtres », tricoté à peu près dans la même couenne.

À la piscine, au lac ou sur la plage, alors que je voyais les autres affublés de shorts trop amples, tombant aux malléoles, j’exhibais de menues cuisses – blanches et poilues en prime – ma culotte de course en polyester faisant office de maillot. L’hiver, dans les Laurentides, je jouais dans la neige et découvrais combien ma combinaison de ski de fond moulante prenait l’eau. Parfois, je courais en raquette, des hommes empaillés en jaune et noir passaient en skidoo : convergence inopinée de deux civilisations, choc culturel. Aujourd’hui encore, ces vieux réflexes me suivent et trahissent aisément, comme tant d’autres, mon acabit nomade. À Saint-Hippolyte où ma belle-famille a pignon sur lac de l’Achigan, la garde-robe du coureur étonne davantage qu’une peau de chevreuil. Même les pickups, tirant leur lourde embarcation de plaisance (à chacun ses plaisirs), me dévisagent.

En vieillissant, courir est devenu synonyme de mériter. Je cours le matin pour engloutir le copieux repas du soir, pour mieux en jouir. Je me délie les jambes à 17 h pour plonger âme première dans quelque bouteille à 19 h; mon Cogito, ergo sum devenu Curro itaque cum. Je cours, donc je jouis. Faut souffrir pour être beau, faut souffler pour être chaud. Mentalité judéo-chrétienne (souffrir et mériter), doublée de l’esprit baby-boomer (jouir par la panse), je le confesse, amen. Mais mon chemin de croix ces dernières années s’est montré fertile : un paquet de dix kilomètres, quelques demi-marathons, plusieurs duathlons. Tous m’ont fortifié le squelette et mené au marathon de Philadelphie en 2018, puis à Boston (un cauchemar, j’y reviendrai la prochaine fois) l’année suivante. La paternité carillonnant au printemps 2019, une enfant de quelques livres m’a enfin fait signe de ralentir. Mes Hoka ont mordu la poussière pour la première fois.
Puis, le plaisir est revenu, plus fort que jamais, depuis le premier confinement il y a un an déjà, quand le soleil de mars déballait d’innombrables routes – désertes – pleines de lumière. J’ai alors recommencé à m’entraîner; non, j’ai réappris à courir.

Hé les nouveaux!  Adaptez-vous à l’hiver!

Hé les nouveaux! Adaptez-vous à l’hiver!

Pour certains coureurs, l’automne marque le début d’une pause bien méritée et souhaitée. Les circuits de course tirent à leur fin, les objectifs annuels sont choses du passé, alors aussi bien migrer vers l’intérieur et s’entraîner bien au chaud ou adopter un sport de transition jusqu’à la prochaine saison. Chacun possède sa propre petite routine, se tournant alors vers la salle de musculation, le vélo de spinning ou le tapis roulant. D’autres délaissent la course hivernale, car ils craignent la vilaine chute sur la glace. Ceux-là empruntent donc le ski de fond, la course en raquettes dans les sentiers ou le fat bike. Si c’est vrai pour certains coureurs et que nous devons respecter leur choix, pour d’autres, l’arrivée du froid et du gel rime avec nouvelle réalité de course et de nouveaux défis. L’hiver offre des panoramas parfois époustouflants et une expérience personnelle souvent très valorisante. La guerrière et le guerrier en vous pourrait bien y trouver son compte.

Pour le coureur qui recherche avant tout la performance, ce n’est évidemment pas le meilleur moment de l’année. « On s’entretient » comme aiment le dire ceux qui arpentent les rues pendant l’hiver. Cependant, dans cet article, c’est surtout aux nouveaux adeptes et aux coureurs débutants que je veux m’adresser. Si vous êtes un coureur plutôt costaud, comme moi, l’hiver est la saison idéale. Dieu sait que la chaleur estivale peut parfois être fort incommodante pour les gens ayant un fort gabarit. Vous êtes prêts à me suivre pour un petit pep talk de course hivernale? Allez! Suivez-moi!

Une belle saison pour commencer
Pourquoi attendre une température plus clémente pour commencer? Vous croyez que le temps doux va favoriser les choses? Ou pire, que vous n’êtes pas prêt? Des défaites! C’est le temps de tenir vos fameuses résolutions de début d’année et de passer à l’acte. Si vous attendez le printemps, il y aura une nouvelle raison pour remettre à l’été qui vient, puis au mois suivant puis à la semaine des quatre jeudis. En fait, ça commence ici et maintenant. Allez-y tranquillement. Marchez. Faites des 30 secondes de course, 1 minute de marche. En alternant. Vous trouvez ça ridicule courir des 30 secondes? Courir des minutes? Tous les coureurs qui recommencent ou qui sont de retour d’une blessure reviennent à la base. Et ceux et celles qui ne le font pas sont plus souvent qu’à leur tour victimes de blessures. Allez-y vous verrez! Lancez-vous! Déjà, dans quelques semaines, vous courrez deux ou trois kilomètres en continu et avant longtemps, vous viserez un cinq kilomètres. Et vous savez quoi? Tous les coureurs sérieux vous le diront, un bon coureur est un coureur qui maîtrise bien la distance de cinq kilomètres. C’est un atout important. Tous les coureurs en font. Cinq kilomètres, cela peut être un aboutissement en soit. Certains coureurs ne feront jamais plus que cette distance populaire. D’autres utilisent le 5 km comme entraînement pour gagner de la vitesse. L’important est de commencer quelque part. L’expérience que vous gagnerez en courant dès l’hiver sera bénéfique pour vos sorties estivales. Vous pourrez même participer à des courses organisées. Il existe plein d’épreuves de 5km et 10 km qui seront prêtes à vous recevoir.

Habillement
Comme on l’entend souvent dans le milieu de la course à pied : « Il n’y a pas de mauvaises températures, il n’y a que des gens mal habillés ». Pour l’habillement, c’est à vous de voir. Vous vous connaissez. Chacun d’entre nous est différent. Personnellement, je peux sortir courir en short jusqu’à -10. Si si. Chacun ses limites. Vos organes se situant dans le haut du corps (expression empruntée au monde du hockey), c’est cette partie qu’il importe de bien protéger. Si vous décidez de sortir par une température froide oscillant entre -10 et -30, optez pour la technique des trois couches de vêtement pour le haut du corps. La première couche, celle qui est collée sur votre peau, doit être composée de matière synthétique. Évitez les vêtements de coton. C’est la pire chose à faire. Ajoutez un chandail plus chaud pour la deuxième couche et terminez avec un coupe-vent pour la dernière. Et mettez en pratique ce truc : Vous devez avoir légèrement froid au départ, sinon vous aurez trop chaud durant votre entraînement.
Côté accessoires, complétez le tout par une tuque, des gants. Je traîne souvent un cache-cou de type « Buff » avec moi. Si le vent devient incommodant ou me glace soudainement le visage, j’ai un vêtement pour me protéger. De plus, il peut servir pour la tête, le cou, et même pour les mains, on ne sait jamais.
Pour les chaussures, pas besoin d’investir de sommes astronomiques. Votre chaussure estivale fera l’affaire au début. Si la petite chaussette habituelle n’offre pas la chaleur recherchée, optez pour un bas en laine de mérinos et le tour est joué. Si vous avez un modèle de chaussures de sentier ou hivernal, la question ne se pose pas. C’est le temps de les sortir et vous aurez une meilleure adhérence. Personnellement, je ne suis pas adepte des crampons, mais leur efficacité sur la glace n’a pas son pareil.

Posture
L’hiver, il faut s’ajuster. Asphalte, neige durcie, glace, slush (gadoue), eau, accumulation de neige, variation de température, bref, autant de variables qui peuvent rendre votre entraînement quotidien à des lieux de celui de la veille. Ce ne sont toutefois pas des raisons pour ne plus courir ou pour annuler votre entraînement. Adaptez-vous à l’hiver! Pour ce faire, plusieurs coureurs adoptent une foulée plus courte, favorisant un meilleur contrôle en cas de dérapage sur une chaussée glissante. Si possible, favorisez une approche vers l’avant ou le milieu du pied (médio pied) plutôt qu’une attaque talon. Je ne veux pas ici créer de débat. Mais en hiver, une approche talon jumelée à un pied positionné trop loin à l’avant du genou pourrait entraîner une chute. Un pied bien positionné sous le genou devrait vous amener un maximum de stabilité.

Une invitation aux coureurs plus lourds
Il existe des profils de personne qui souffrent énormément de la chaleur l’été. C’est le cas de plusieurs coureurs, mais particulièrement le cas des coureurs lourds. En raison de la canicule, des joggeurs ont des étourdissements et perdent facilement conscience. Je me souviens d’une course à Roberval en plein mois de juillet où j’avais escorté une amie de peur qu’elle ne s’effondre. Nous courrions tous les points d’eau disponibles. Les gens nous arrosaient à l’aide de leurs boyaux d’arrosage. Bref, c’était dangereux. Six participants étaient tombés dans les pommes et avaient eu recours à de l’assistance médicale. Il est donc normal que nous soyons plusieurs, dans de telles conditions, à faire nos entraînements estivaux le soir après le coucher du soleil à la recherche d’un peu de fraîcheur et à crier de joie quand l’automne prend enfin sa place.
En hiver, c’est le contraire. Et pour une fois que les coureurs costauds pourraient bénéficier d’un léger avantage, ils seraient fous de ne pas en profiter. En effet, les coureurs plus lourd doivent fournir plus d’efforts pour avancer explique Jean-François Harvey dans son livre Courir mieux 2 (Éditions de l’Homme). Ils consomment plus de puissance et dépensent donc plus de watts. C’est vrai aussi pour les coureurs rapides. Ces deux types de coureurs activent leur chaufferette interne plus que ne le font les coureurs légers et les coureurs lents. Les coureurs lourds et les coureurs rapides pourraient tirer parti de la course hivernale pour ces mêmes raisons. Ça ne vous évitera évidemment pas les coups de chaleur durant la canicule estivale, mais vous serez en mesure d’apprécier un peu votre confort hivernal.

Fartlek ! Pourquoi pas!
Far quoi? Fartlek. Cette pratique nous venant de la Suède a été développée pour les coureurs de fond et de demi-fond. Qui dit Fartlek, dit courir sans pression. Pas de soucis de performance, donc pas de déception. Pas de programme rigoureux à suivre à la lettre. C’est vous ou vos partenaires de course qui fixez et dictez les règles. Vous partez seul ou accompagné de quelques-uns de vos amis. Vous prenez l’allure que vous voulez puis vous variez votre course en accélérant jusqu’au gros arbre, avant de marcher 1 minute et de repartir en visant un autre petit défi. Bref, pas de course en continu, pas d’intervalles réguliers à respecter, vous pouvez adapter votre course aux conditions de la route et celle-ci devient un terrain de jeu agréable, sans pression et sans souci de performance. Joggez cinq minutes à un rythme déterminé, accélérez, marchez, sprintez (si vous avez une surface sécuritaire). Cette pratique s’adapte bien à la course hivernale qui est moins adaptée aux performances de pointe. Certains avanceront que cette méthode possède tout de même un important défaut : elle a tendance à nous faire rester dans notre zone de confort. Donc, pour le coureur qui vise tout de même certains standards, il est peut-être moins le bienvenu. Pour l’autre qui cherche à varier ses sorties, cela fait une belle sortie ludique.
Certes, courir l’hiver c’est parfois difficile. Ça demande de la motivation. Mais avec l’habitude, vous en viendrez à ne reculer devant aucune température. Habillez-vous et ajustez-vous. Vous découvrirez la magie de la ville le soir, des rues désertes ou encore des chauds rayons d’un soleil réconfortant. Et quand vous croiserez un autre coureur sur votre chemin par un temps froid ou en vous faisant fouetter par la brise, vous vous sentirez unis à votre semblable dans une même expérience que vous seuls aurez partagée.
Brisez la glace, soyez prudent et bonne course hivernale.

Quelques mises en garde
• Méfiez-vous des intersections. Les voitures y patinent et la formation de glace y est fréquente.
• Si vous sortez la nuit, soyez bien voyant.
• N’allez pas trop loin, il faut revenir (une nuit, par moins -30, seul, j’ai douté).
• La nuit, aventurez-vous dans des lieux sécuritaires.