Marathon de Boston vécu de l’intérieur

Marathon de Boston vécu de l’intérieur

Dimanche le 2 avril

Ça y est, la dernière grosse semaine d’entraînement est complétée. Nous sommes deux semaines avant le marathon de Boston et je termine mon café en regardant le calendrier des 13 dernières semaines. Je devrais plutôt écrire mon dernier café avant le jour du marathon. En effet, après avoir écouté un balado où Mathieu Blanchard était interviewé, je me suis dit que je pourrais essayer, comme ce dernier, de me sevrer de la caféine deux semaines avant la course pour profiter du kick de celle-ci le jour de l’événement. Je l’essaie!

Alors voilà, dernier café et jus de betteraves à chaque jour jusqu’au marathon! Placebo ou pas, si je vais à Boston juste une fois dans ma vie, autant y aller all in.


Samedi le 15 avril

Direction Boston, Massachussetts!

La route se passe très bien. On fait un premier arrêt à Hooksett dans le New Hampshire pour dîner, couper le trajet en deux et de se délier les jambes. Un arrêt stratégique que les habitués font à chaque année. Après avoir engloutis nos repas, on repart en direction du Prudential Center de Boston, où se tient l’expo du marathon et ses kiosques de récupération de dossards. À l’approche de Boston, de plus en plus de panneaux publicitaires affichent les couleurs de la 127ème édition de cette course mythique. L’arrivée au Prudential Center est impressionnante avec ses serpentins de coureurs qui se dirigent tous au même endroit. On récupère nos dossards, on visite très rapidement l’expo, puis on reprend la route pour quelques minutes le temps d’arriver à l’hôtel.

On effectue le check-in et un jog de 5 kilomètres est rapidement organisé pour 4 des gars de notre groupe de course. On se délie les jambes et on chasse la nervosité qui commence à s’installer.


Dimanche le 16 avril

On se lève, on va déjeuner et on se présente à 7hrs30 dans le lobby de l’hôtel pour participer au tirage de l’agence de voyages Contact Amérique. Ce tirage pourrait nous permettre de tous monter à bord de l’autobus voyageur du groupe à Pierre Bourassa le matin de la race. Cette gâterie non négligeable nous permettrait de rester au chaud les heures précédant le marathon jusqu’au dernier moment, plutôt que de devoir descendre du bus scolaire de l’organisation le matin de la course et aller attendre sous la pluie au village des athlètes pendant +- 2 heures. Après quelques sueurs froides et un concours de circonstances favorables, le tirage nous favorise et nous pourrons tous être dans le bus 24 heures plus tard.

On remonte à la chambre et je me prépare pour un petit jog de reconnaissance de fin de parcours en compagnie de vétérans du groupe qui ont couru Boston plus d’une dizaine de fois. Cette sortie nous permet de faire le dernier kilomètre du parcours, soit le passage sous le viaduc, suivi du mythique right on Hereford street, then left on Boylston! On franchit la ligne d’arrivée qu’on reverra dans 24 heures.

De retour à l’hôtel, je lis La Presse et j’y trouve l’article d’Yves Boisvert, lui aussi à Boston pour courir et couvrir le marathon. Son billet parle bien sûr d’Eliud Kipchoge (parce que tous les yeux sont rivés vers ce Kenyan d’exception). Après ma lecture, je fais ma routine d’exercices habituelle en écoutant la vidéo de Greg McMillan qui parle de sa stratégie de pacing pour le marathon de Boston.

Si ça vous intéresse, voici le lien : vidéo de Greg McMillan

Suite au visionnement, l’heure de la sieste est officiellement décrétée pour tous. Au réveil, le reste de l’après-midi est consacré à lire, reposer nos jambes et carbloader pour le lendemain. Un souper au riz ou aux pâtes est organisé. On visionne à nouveau des reportages inspirants et la vidéo de McMillan. Le mot d’ordre de cette vidéo? No banking time! On part conservateur et on se garde de l’énergie pour le dénivelé positif sur la deuxième portion du parcours. It’s the final countdown…


Lundi le 17 avril – Marathon de Boston

Une nuit de sommeil excellente pour ma part. Le téléphone me réveille à 5hrs. Je me sens calme et confiant. Une douche, le déjeuner en bas (AVEC MON PREMIER CAFÉ RÉGULIER EN 2 SEMAINES!), puis je remonte pour m’habiller en race. Direction autobus voyageur qui nous attend dehors. Lorsque tout le monde est à bord, le chauffeur met le cap sur Hopkinton où se tient la ligne de départ. Il s’agit d’un trajet de 45 minutes/une heure.

À l’arrivée sur les terrains de l’école qui sont consacrés à l’évènement (pas de cours le 3ème lundi d’avril, c’est un congé férié aux U.S.A.), on constate que nous sommes très chanceux d’être à bord de cet autobus. Il y a beaucoup moins de coureurs qu’au village des athlètes et l’attente aux toilettes est d’environ 5 minutes. Le calme et le confort de l’autobus sont aussi appréciables. Vers 8hrs40, j’enfile une barre collation Maurten et la boisson de la même marque à la caféine. Je quitte le bus avec 3 autres gars quelques minutes après pour aller faire un jog de 2 kilomètres incluant quelques accélérations. À la suite de cette sortie, on remonte à bord pour récupérer nos derniers effets personnels, dont les vieilles chaussures et vieux vêtements qu’on va jeter avant le départ afin de rester au sec le plus longtemps possible. Les autres coureurs du bus qui nous voient redescendre nous applaudissent et nous encouragent. Ça y est, la première vague se met en marche vers la ligne de départ.

On doit prévoir une vingtaine de minutes pour arriver au bon endroit. Naturellement, un flot de plusieurs milliers de coureurs s’étale sur des centaines de mètres. J’arrête un instant à un stand pour mettre mes chaussures de race et changer mes chaussettes, puis on se dirige vers notre corral respectif. Il reste environ 10 minutes avant le départ. J’engouffre un gel sans caféine.

On démarre nos montres GPS. Le signal est rapidement reçu. L’annonceur présente l’interprète de l’hymne national américain et le silence s’installe pour faire place à la jeune chanteuse. Les dernières notes du Star-Spangled Banner annoncent le départ imminent du 127ème marathon de Boston. Pour l’instant c’est brumeux, la pluie n’a pas encore débuté. Un flottement de quelques secondes où tout le monde attend rend ce moment assez spécial. POW! Un coup de pistolet retentit et la masse se met rapidement à avancer. Un dernier fist pump à Mathieu, mon partenaire de course avec qui j’ai convenu de courir, et on embarque dans le train.

Kilomètres 0 à 5:

Le rythme est un peu lent sur les 500 premiers mètres mais on parvient à atteindre la cible visée de 4:10/km sur le premier kilomètre, malgré la pluie qui se met de la partie. La masse est importante, on se fait dépasser à gauche, à droite et certains ont même le culot de se faufiler entre nous. Il est évident qu’on souhaite courir côte à côte, les deux camisoles identiques qu’on revêt devraient allumer une certaine lumière, non? Avec toute cette action, il arrive qu’on s’éloigne momentanément, mais on se retrouve généralement dans les secondes suivantes. Vers le 2ème ou 3ème kilomètre, on assiste à une scène dramatique; un coureur est sur le côté de la route, penché vers l’avant sur un garde-fou et pleure à chaudes larmes. Son marathon est vraisemblablement déjà terminé! Une blessure? On ne le saura jamais, mais on se doute qu’abandonner 42,2K après moins de 15 minutes n’est pas ce qu’il comptait faire aujourd’hui…c’est vraiment triste.

Je split ma montre manuellement sur le tapis du 5ème K et la moyenne de ces 5 000 derniers mètres s’affiche: 4:09/km – Une seconde plus vite que prévu, c’est un excellent départ. No banking time!

Kilomètres 5 à10:

L’allure se stabilise, mais rester côte à côte avec Mathieu est compliqué étant donné la masse importante de coureurs. De plus, je m’efforce vraiment de rester à 4:10/km même si ça descend jusqu’au KM 6,5 environ. J’ai l’impression que mon partenaire est légèrement plus rapide puisque l’écart entre lui et moi se creuse peu à peu. Je l’ai toujours en garde-à-vue, mais lors des descentes il s’échappe légèrement. Il se retourne à plusieurs reprises pour vérifier où j’en suis, mais je ne cherche pas à le rattraper, pas à ce stade-ci de la course. Finalement, lors d’une autre descente aux alentours du 7ème ou 8ème kilomètre, j’ai l’impression que Mathieu se laisse aller et à ce moment je sais que je dois le laisser filer.

Prise de gel avec caféine au kilomètre 8.

Pace de ce split 5K: 4:10/km – Right on!

Kilomètres 10 à 15:

Le parcours est principalement plat sur cette section. Le régulateur de vitesse est bien réglé à 4:10/km et les sensations sont excellentes. Jusqu’à maintenant je respecte le plan de match à la lettre. Je cherche toujours Mathieu à l’horizon lorsque j’ai un bon point de vue sur le pack, mais je ne le repère pas malgré ses 6 pieds 1 pouces. Mentalement, ça me change toutefois les idées.

Pace de ce split 5K: 4:10/km – Encore right on!

Kilomètres 15 à 20:

Encore en mode cruise control et sensations toujours excellentes.

Prise de gel avec caféine au kilomètre 16.

Pace de ce split 5K: 4:11/km – La seconde récupérée des kilomètres 0 à 5. No banking time!

Kilomètres 20 à 25:

On commence à entendre les filles du collège Wellesley hurler plusieurs centaines de mètres avant de franchir ce qu’on appelle le Scream tunnel. Cette institution est reconnue pour la quantité importante d’étudiantes prêtes à se faire embrasser par les coureurs. Les affiches fabriquées par celles-ci sont toutes plutôt originales. J’en aperçois une très attendrissante: Run faster bitch! Ça a le mérite de te changer les idées! Ce tourbillon dépassé, on franchit la barrière physique et psychologique du demi-marathon. J’avais en tête de le réaliser en 1hrs28:00 et un regard à ma montre me confirme que j’y suis parvenu en 1hrs28:10. Le plan de match est toujours respecté et les sensations sont encore excellentes.

Prise de gel sans caféine au kilomètre 24.

Pace de ce split 5K: 4:11/km – Ça va bien!

Kilomètres 25 à 30:

Les habitués de Boston le savent, c’est ici que la bête commence à rugir. En effet, entre le kilomètre 25 et 26 la descente est plutôt importante, puis on tourne légèrement à droite et se profile la première des célèbres Newton Hills. Cette série de 4 côtes nous fera payer cher un départ trop rapide. Je le sais et j’attaque ce dénivelé avec respect en ralentissant. Je m’efforce de faire des petits pas, d’être penché légèrement vers l’avant et de m’aider avec mes bras. Je m’efforce aussi de sourire pour envoyer un message positif à mon cerveau. La foule est incroyable de chaque côté du parcours. Le niveau de décibels est élevé et l’énergie est contagieuse. La pluie n’empêche pas les habitants d’exprimer leur support et leur fierté. Je regarde ma montre à l’occasion et je suis agréablement surpris par l’allure respectable que je réussis à maintenir. Je ne sais pas si c’est l’effet placebo ou si la caféine fait vraiment son effet, mais je suis dans un état de concentration extrême. J’apprécie le moment. L’entraînement et la musculation payent car mes muscles répondent à merveille.

Pace de ce split 5K: 4:17/km – Très satisfait!

Kilomètres 30 à 35:

La série des 4 côtes de Newton se déroule bien jusqu’à maintenant, mais je sais que la célèbre Heartbreak Hill débutera vers le 32ème kilomètre. J’enfile donc un gel sans caféine un peu avant et je me concentre sur des images positives (ma blonde, mes enfants, etc.). À ce moment, j’aperçois Mathieu devant moi. Il se retourne, m’aperçoit à son tour et je réalise qu’il marche. Je le pointe et lui crie d’embarquer en m’approchant. Malheureusement, il me fait signe rapidement que ses jambes ne répondent plus et m’indique de continuer sans moi. On se tape dans la main et nos chemins se séparent à nouveau. On espère ne jamais vivre ça dans une course, mais un marathon c’est une bête et Boston c’est un monstre à trois têtes! Mathieu saura se reprendre cet automne, j’en suis certain.

La dernière ascension du parcours est difficile, mais je gère bien. J’aperçois une deuxième pancarte d’un supporteur qui me fait bien rire. On peut y lire: If you collapse, I’ll pause your Garmin. Ça fait toujours du bien ce genre d’humour dans un marathon. J’arrive bientôt au sommet de la mythique montée de 800 mètres, celle-là pour qui on s’entraîne sur la rue Beckett à Sherbrooke à des heures impossibles les matins de février. Je suis bien, mes jambes ne sont pas détruites et la patate n’est pas en train d’exploser non plus.

Ça y est! Les montées sont derrière moi. Je suis fier et les partisans sur les dizaines de mètres qui suivent sont tout simplement en délire. Ça huuuuurle! Il se passe alors quelque chose qui ne m’était jamais arrivé dans un marathon, je me mets à pleurer! Mon plan de course a fonctionné à merveille jusqu’ici, mes sensations sont bonnes et tous ces gens sont là pour nous encourager. On est vraiment privilégiés de pouvoir vivre ces expériences. Comme on se le dit souvent entre boys, quand on est rendu à courir des marathons c’est parce que les premiers étages de la pyramide de Maslow vont bien. Ce sentiment de gratitude mélangé avec une fatigue physique certaine fait de ces quelques mètres un moment fort émotif. J’accueille cette émotion sans orgueil, mais ce n’est quand même pas facile de courir à +-4:10/km en pleurant…! Je dois alors me ressaisir et retrouver mon focus. Je sais qu’à partir de ce 33ème kilomètre ça descend jusqu’au centre-ville de Boston. Go man, time to fly!

Pace de ce split 5K: 4:20/km – Très bien considérant les montées.

Kilomètres 35 à 40:

La foule se densifie à mesure qu’on se rapproche du centre-ville. La quantité de coureurs qui marchent est de plus en plus importante, les côtes ayant laissé des cicatrices. Au niveau cardiovasculaire je me sens vraiment bien, mais les muscles sont fatigués. Je m’efforce d’augmenter l’allure et je réussis à peine à gagner quelques secondes par kilomètre. Je prends la moitié d’un gel sans caféine au 36ème kilomètre, ne serait-ce que pour envoyer un message positif au cerveau quant à mon niveau de glycogène. De plus, je sens que mon mollet droit est plutôt tendu. Ne souhaitant pas gâcher ma belle gestion de course, je décide de ne pas pousser outre-mesure. Un claquage avec 4 ou 5 kilomètres à faire serait VRAIMENT bête. Aussi bien en finir dignement et sans risque.

Pace de ce split 5K: 4:19/km – La vie est belle. Je suis au marathon de Boston! Gratitude, gratitude, gratitude!

Les derniers 2,2 kilomètres:

Je sais exactement ce qui m’attend. J’ai visionné des dizaines de fois l’aperçu du parcours sur YouTube. Arrive le passage sous le viaduc, puis le fameux right on Hereford street, then left on Boylston. Sur cette artère historique, il ne reste plus que 600 mètres à parcourir. Je vois l’arrivée au loin, je me place au milieu de cette rue survoltée. Je passe devant l’endroit où la deuxième bombe a explosé il y a 10 ans -frisson-, puis devant le petit mémorial que la ville a installé marquant l’endroit où la première bombe a elle aussi sauté -frisson à nouveau-. La colonne de décibels rebondit entre les gratte-ciels du centre-ville, les supporteurs nous portent avec eux jusqu’au dernier pas de course, jusqu’à ce moment magique où mes pieds touchent le mot FINISH signifiant la fin de mon parcours au marathon de Boston 2023.

YEAH! Tout ce travail n’aura pas été vain, toutes ces séances d’entraînement dans le froid, le vent et le noir des matins d’hiver québécois avec mes boys en auront valu la peine. I am a finisher. I… AM…A… BOSTON MARATHON…FI-NI-SHER!

Pace des derniers 2,2 kilomètres: 4:15/km.

Résultat officiel: 2hrs59:17 (Moyenne de 4:13/km)


Épilogue:

Le jour J c’est la récompense, c’est l’expérience ultime! C’est toutefois clair pour moi à quel point je n’échangerais pas la camaraderie du groupe d’entraînement pour un record personnel sur marathon. Pour reprendre les mots de ma blonde qui me voit au quotidien en train de réfléchir, peaufiner, analyser, prédire, maudire, sourire et oui…vivre d’espoir…

«Vous êtes cutes les gars»

Au fond, elle a raison ma blonde, c’est vrai qu’on est cutes. Si y’a des matins où les réveils sont plus difficiles, la grande majorité du temps où je vais courir, je me sens comme le p’tit gars qui balance son sac d’école au bout de ses bras en arrivant à la maison, ramasse son bâton de hockey et déguerpi aussi vite qu’il est entré pour aller jouer.

C’est ça qu’on fait en s’entraînant, on joue. Avec nos vies de fous à 100 miles à l’heure, on le fait certes à des heures impossibles, mais on prend le temps de jouer comme quand on avait 10 ans. C’est malade!

2023 ne fait que commencer, nous aurons beaucoup d’autres moments de course à partager.

Allez 👉

Danick, Boston Strong!