IA : Intelligence Artisanale

IA : Intelligence Artisanale

 

Je suis parti courir. Je touchais à peine terre. Pas que mes foulées étaient particulièrement légères ce jour-là, j’étais plutôt sous le choc de la bordée de compliments reçue la veille.

Pas la tape dans le dos d’un ami ou d’un parent, non non, des compliments venant d’une source avec laquelle je n’ai aucun lien et qui ne me connait pas. Méconnaissance qui ne l’a pas empêché de parler de moi. Avec beaucoup d’éloquence. Beaucoup trop d’éloquence.

Je vous explique ça.

J’étais chez mon ami Yves Bernard, fort enthousiaste après un essai de ChatGPT, une des premières applications « grand public » de l’intelligence artificielle. En gros, tu converses de façon très naturelle avec un ordinateur. Tu l’interroges ou tu lui demandes un travail, par exemple rédiger un texte publicitaire, un communiqué de presse, le synopsis d’un film. Instantanément, elle te fournit un texte plutôt correct. Pas super original mais utilisable.

« Viens, tu vas voir, c’est vraiment impressionnant! » Alors on s’est assis devant son écran et on fait ce que toute personne ayant le moindrement un ego fait quand il s’installe devant un moteur de recherche, on a posé des questions… sur nous-même!

– Moi : Connais-tu Guy Ménard ?
– ChatGPT : Non, désolé, je ne connais pas…
– Moi : il a écrit un livre
– ChatGPT : Non, désolé, je ne connais pas…
– Moi : C’est un auteur québécois…
– ChatGPT : « Non, désolé, je ne connais pas…
– Moi : Il a publié en 2022 un livre, Parti courir…

J’ai l’air désespéré? Je l’étais. Jusqu’à ce que l’application s’emballe soudainement et produise une réponse de trois paragraphes. Trois. Mais quels paragraphes! En résumé :

– ChatGPT : « Guy Ménard est un écrivain et journaliste québécois connu pour son roman « Partir courir », publié en 1977. Très bien accueilli par la critique et considéré comme l’un des meilleurs romans de Guy Ménard. Il est souvent considéré comme un classique de la littérature québécoise, grâce à la profondeur des personnages et l’écriture poignante de l’auteur. Le livre a touché de nombreux lecteurs et a inspiré de nombreux autres à suivre leur rêve. Il a remporté plusieurs prix littéraires et a été traduit dans plusieurs langues. Il a également été professeur invité dans plusieurs universités québécoises et a donné des conférences sur l’écriture et la littérature ».

Intéressant. Flatteur. Juste un détail, il n’y a rien de vrai là-dedans. Rien!

Révisons ensemble le texte, avec mes corrections entre parenthèses.

« Guy Ménard est un écrivain et journaliste québécois (ouais) connu (pas vraiment) pour son roman (pas un roman) « Partir courir », publié en 1977 (2022). Très bien accueilli par la critique (quelques amis en ont parlé généreusement mais globalement « la critique » n’a jamais su qu’il existe) et considéré comme l’un des meilleurs romans de Guy Ménard (j’ai publié un seul livre). Il est souvent considéré comme un classique de la littérature québécoise (ben oui, toi !), grâce à la profondeur des personnages et l’écriture poignante (j’ai poigné la Covid, c’est pas mal tout) de l’auteur. Le livre a touché de nombreux lecteurs et a inspiré de nombreux autres à suivre leur rêve (me semble). Il a remporté plusieurs prix littéraires (zéro) et a été traduit dans plusieurs langues (zéro). Il a également été professeur invité dans plusieurs universités québécoises (jamais) et a donné des conférences sur l’écriture et la littérature (j’ai fait trois présentations de mon livre, devant des amis) ».

Fiable la machine? Pas du tout. Même Yves était pas mal moins enthousiaste après les errements de ChatGPT. Interface intéressante, vitesse de réponse impressionnante. Un bon outil pour créer du contenu. Pour la qualité de la recherche, on repassera.

De telles dérapes factuelles, ça peut être amusant ou inquiétant. Imaginez les pauvres profs qui vont devoir faire les vérifications :
– Vous m’avez demandé deux pages sur l’auteur d’un roman classique québécois…
– Oui, mais Guy Ménard, c’est qui ça Guy Ménard!

Dans l’état actuel des choses, ce genre d’application c’est l’équivalent numérique du Garage chez Roger : Ils vont réparer ton auto, tu vas avoir un résultat. Mais est-ce que c’est fait dans les règles de l’art, sans briser autre chose, rigoureusement? Est-ce qu’ils savent exactement ce qu’ils font ? ChatGPT, pour l’instant, c’est du monde qui « gosse » des réponses dans un garage.

De l’Intelligence Artisanale.

Hamilton

Hamilton

 

 

Je suis parti courir. Dans mes écouteurs, une chroniqueuse culturelle parlait du décès de Stephen Sondheim. Un des plus influents compositeurs de la seconde moitié du 20e siècle. Pensez à une comédie musicale, il y a de bonnes chances qu’il y ait contribué.

Pourquoi je vous parle de lui? Parce que, je l’avoue un peu honteusement, j’aime ça, moi, les comédies musicales! Jugez-moi si vous voulez. La musique est enlevante, les artistes plus qu’excellents et les bons finissent toujours par triompher des méchants. Irrésistible.

Je pense notamment aux Misérables que j’ai vus quatre fois. Depuis la première, à Broadway, je suis accro. Les dilemmes éthiques de Valjean, les élans patriotiques de Marius, la mort dramatique de Fantine (croyez-moi, elle ne meurt pas juste un peu. Elle meurt beaucoup, beaucoup). Juste à y penser, je casse.

Littéralement, je casse.

À l’occasion, ça peut être embarrassant. Comme la fois où un collègue de Mme Ménard, un prof de musique, m’avait annoncé que sa chorale allait chanter un extrait des Misérables. Me voilà les yeux dans l’eau. Réaction démesurée, je suis le premier à l’admettre, pour un programme de chorale du primaire. Mme Ménard ne s’en surprend plus quoique, encore récemment, elle me disait : « Va falloir un jour que tu m’expliques ce qui fait que ça te touche autant ».

Pour la plupart des comédies musicales, j’en serais bien incapable. Sauf une. Celle-là, je sais exactement pourquoi.

Hamilton.

« Hamilton », c’est un cours d’histoire et de politique sur la vie d’Alexander Hamilton. Un des pères fondateurs des États-Unis, le premier Secrétaire du Trésor. Vous prêterez attention lors de votre prochain passage de l’autre côté de la frontière, le gars sur les billets de dix dollars, c’est lui.

À priori, la vie d’un ministre des Finances, ne constitue pas un sujet très excitant pour une comédie musicale. C’est vrai. Mais il faut aussi savoir que :

– Hamilton est orphelin de père et mère en bas âge.
– Il apprend seul à lire, à écrire et à compter.
– À 13 ans, il gère un port dans son ile natale des Caraïbes.
– Il agit aussi comme correspondant local pour des journaux.
– Un mécène, impressionné par l’intelligence du jeune homme, l’envoie étudier aux États-Unis.
– Il s’y engage pendant la guerre d’indépendance, devient le bras droit du général Georges Washington et un héros.
– La victoire acquise, il contribue fortement à la rédaction de la Constitution.
– Washington le nomme Secrétaire du Trésor. Hamilton va créer de toute pièce un système monétaire et financier pour le nouveau pays.

J’allais oublier. Il a aussi…

– … marié Élisabeth Schuyler, mais a toujours autant aimé la sœur de celle-ci, Angelica.
– … fait fortune comme avocat.
– … échappé la présidence en raison d’un scandale qu’il a décidé de révéler lui-même dans les journaux.

Et il est mort à 47 ans, abattu dans un duel par un ami vexé d’une remarque sarcastique d’Hamilton dans une soirée mondaine.

Il y a de la matière pour une comédie musicale, non?

D’abord un succès sur Broadway (encore aujourd’hui, la salle est toujours pleine bien que les billets coûtent autour de 700$), Hamilton le spectacle est désormais présenté en Europe, en Australie et partout aux États-Unis.

Et c’est la trame sonore de moi, malade.

En juin 2016, on m’a annoncé que j’avais un cancer. Un myélome multiple. En version d’explication courte, une forme de cancer du sang. Aussi un coup de pelle ronde derrière la tête.

Le hasard a voulu que je tombe au même moment sur un reportage à propos de cette comédie musicale qui faisait fureur.

Je me suis alors accroché à l’univers d’Hamilton. Pas juste l’album. J’ai vu et lu tout ce que je pouvais là-dessus, dont la biographie qui a inspiré le créateur du spectacle, Lin-Manuel Maranda. La musique et les 800 pages du bouquin de Ron Chernow m’ont tenu compagnie en salle d’attente : Helpless (Sans défense), en salle de traitement : What Comes Next? (Qu’est-ce qui viendra après?), dans mes courses avant une greffe : My Shot (Ma chance) jusqu’aux laborieuses premières marches après : Take a Break (Prend une pause).

Cinq ans plus tard, l’effet de la musique est demeuré. Dès les premières mesures de l’intro, les souvenirs affluent, bons et mauvais. Avec le recul, surtout les bons mais quand même.

Ça explique le port des lunettes fumées pour courir, parfois même par temps gris.

Une histoire de hockey

Une histoire de hockey

Je suis parti courir. En pensant à Alain. Je pense souvent à lui depuis son départ subit, le lundi 24 octobre. Tellement ironique qu’il soit parti aussi abruptement. Ce n’était vraiment pas le genre à partir tôt et encore moins à partir le premier.

Je jouais au hockey avec Alain depuis 38 ans. Dans la même ligue à Chambly, le mercredi soir, depuis 26. Un jour, je vous parlerai plus en détail de mon vieux compagnon mais aujourd’hui, je vous raconte une histoire de hockey. Une vraie, rien d’inventée, qui s’est passée mercredi dernier.

Ce soir-là, la gang se rencontrait pour une première fois depuis le décès d’Alain. Au fil des années, de solides amitiés se sont nouées dans le groupe. Je leur avais annoncé la mauvaise nouvelle lundi, je savais que la soirée serait émotive. Aussi émotive que le laissent paraitre des joueurs de hockey de ligue de garage, dans la cinquantaine et la soixantaine.

 

Comme d’habitude, je suis arrivé le premier dans le vestiaire. J’ai accroché à sa place régulière son chandail « Gervais » avec le numéro 4 du Club de hockey des Médias. Les autres sont arrivés peu à peu, prenant bien soin de laisser un espace vide, après être passés m’offrir leurs sympathies.

On s’est habillé en jasant pas beaucoup, on a ensuite pris la glace pour le réchauffement. J’ai fait quelques lancers sans grande conviction mais surtout, j’ai reçu quantité de tapes sur le casque, de poussées amicales dans le dos et de petits coups de hockey dans les pads.

Le « p’tit coup de hockey dans les pads », c’est le langage universel du hockey. Selon l’occasion, ça peut signifier un « Bravo » pour une belle passe ou un lancer bloqué, un « Je te pardonne » pour une sortie de territoire manquée ou encore, comme mercredi, « On est là, mon chum, on est là ».

Faut que je vous dise qu’en hommage personnel à mon partenaire de défense, j’avais décidé d’enfiler son chandail des Red Wings, un classique quand il jouait dans l’équipe en blanc.

On a fini l’échauffement, le patron de la ligue, Gilles, a demandé à tout le monde de se regrouper au centre de la patinoire et il a dit quelques mots. Ensuite, Benoit Massicotte a improvisé un petit speech sympathique sur Alain, ses habitudes, ce qu’il représentait pour nous et on a gardé une minute de silence.

Après 60 secondes, quelqu’un a crié « Bon match! ». Plusieurs se sont essuyé les yeux, on a remis nos casques, l’arbitre a fait la mise au jeu. Et là, Benoit Massicotte, le même Benoit Massicotte qui venait de parler d’Alain devant le groupe, Benoit Massicotte, il a compté sept buts.

Benoit Massicotte.

Sept buts.

Juste dans les deux premières périodes. Trois lors d’une seule présence sur la glace.

Ça n’arrive pas le mercredi soir à Chambly, une soirée de sept buts. Deux, c’est un bon soir. Trois, un gros soir. Quatre, on en parle dans le vestiaire. Sept? Sept, je ne me souviens pas que ça soit arrivé. Par Benoit en plus? Un bon joueur mais pas Gretzky quand même.

Sept buts pratiquement tous sur des passes de Louis et André, tous les deux parmi les meilleurs amis d’Alain dans le groupe. Et même un sur une passe involontaire de Bob, défenseur du côté adverse, aussi un bon ami d’Alain. Bob n’échappe jamais ça, lui, une passe parfaite à l’adversaire !

Ça fait beaucoup de coïncidences. Rendu au septième but, Benoit avait bien compris qu’il se passait quelque chose. Il a ramassé la rondelle et me l’a remise.

Après le match, on est allé prendre une bière, plus nombreux que d’habitude. Tout le monde a raconté son anecdote favorite de Gervais. Jadis, on aurait sûrement « fermé le bar ». Comme on n’est plus de cet âge, on a juste pris une bière de plus. Le temps de décider que le chandail bleu numéro 4 des Médias serait dorénavant remis au joueur du match (devinez qui est reparti avec mercredi). Aussi, que le chandail des Wings allait jouer pendant toute la saison, porté en rotation parmi les joueurs des blancs.

On s’est levé pour partir et quelqu’un (Louis?) a dit : « Avez-vous remarqué? ». Sans que personne n’en parle, même si on était beaucoup, le fauteuil qu’occupait toujours Alain au bar était resté vide toute la soirée.

Ça fait pas mal de coïncidences.

Une défaite classique

Une défaite classique

 

Une défaite classique, post-moderne, contemporaine

Je suis parti courir. Sur la rue Racine à Chicoutimi. Dans ma tête, à l’époque où la ville s’appelait encore Chicoutimi (Saguenay, Seigneur…) et la rue Racine vibrante. Il y avait Chez Georges, où se tenait toute la classe politique, Laflamme le tailleur et Bégin le vendeur de chaussures, le siège social des magasins Continental et, un étage au-dessus, CJMT, la station de radio où je travaillais.

J’ai reçu la semaine dernière un cadeau qui m’a ramené à cette époque. Un T-Shirt portant le logo du magasin La Boite à musique. Yves Hébert, m’avait annoncé « une surprise », celle-là était de taille.

Car sur la rue Racine, il y avait aussi La Boite à musique. La boutique de disques de deux collègues et amis de CJMT, Yves Hébert et Louis Trépanier.

Une vraie boutique, avec des vrais disques en vinyle. Pas de la musique « dématérialisée » qu’on loue en ligne. Un local, des présentoirs, des posters de groupes, des clients, une caisse avec des billets de banque. La totale.

La boutique appartenait à des chums, j’y allais souvent. Tellement qu’ils ont fini par me faire une offre : y travailler quelques heures par semaine, rémunéré en disques. « Travailler », était beaucoup dire. Repartir avec une brassée de disques, trop beau pour être vrai.

Ne pas payer les disques encourage à essayer des affaires, quitte à ce que ça devienne une pochette-ramasse poussière. J’ai découvert comme ça Joe Jackson, Chuck Mangione, Keith Jarrett, un paquet de musiciens ayant partagé une session de studio avec Neil Young ou James Taylor et aussi, Steve Reich.

Steve Reich c’est un grand nom de la musique « minimaliste ». Particulier, intéressant, vraiment pas pour tous les goûts. Les experts le décrivent comme classique, post-moderne, contemporain (une autre façon de dire « pas pour tous les goûts »). Il venait de sortir l’album Tehillim : côté A, 17 minutes 25 secondes interrompues d’une phrase musicale d’inspiration traditionnelle juive, répétée en décalage. Côté B… pas mal la même affaire.

Dieu sait pourquoi, j’aimais ça Tehillim.

Un bon samedi, arrive à la Boite à musique un client régulier. Le gars arbitre dans ma ligue de balle-rapide. Il me demande ce que j’écoute ces temps-ci, je pars sur Tehillim : « Tu vas aimer ça, c’est spécial mais je te dis, c’est accrocheur ». Il est ressorti avec l’album. Les ventes de Steve Reich venaient d’exploser à Chicoutimi.

Deux jours plus tard, match de balle-rapide à Jonquière (Saguenay, Seigneur…). Mon acheteur de l’album Tehillim est justement d’office derrière le marbre.

Je fais une parenthèse. On jouait, dans la région, un gros calibre de balle-rapide. On prenait ça au sérieux, il y avait de bons athlètes sur le terrain. Mon équipe comptait sur deux excellents lanceurs, Yvon et Roger. Avec ces gars-là, la balle arrivait vite et précise. Il fallait tous avoir les yeux grands ouverts, le frappeur, le receveur et… l’arbitre.

L’arbitre, justement :
– Hey, Steve Reich, comment tu trouves ça?
– Sérieux? Tehillim? C’est quoi c’t’affaire-là? Méchante musique de pas d’allure!
Un #@#&*%@# de gaspillage!

Un client, disons, déçu. Sans connaissance, serait peut-être plus proche de la réalité. OK, en beau calvaire. Le disque, lui, il l’a payé.

La partie va commencer. Mauvais timing, c’est moi le receveur. L’arbitre se positionne, le visage quelques centimètres au-dessus de mon épaule. Il marmonne quelque chose à propos de Steve Reich. Rien de bien positif.

Premier lancer, en plein centre du marbre : Balle! Bon, une erreur ça arrive. Deuxième lancer, même chose : Balle! Troisième lancer, encore : Balle! Le frappeur et moi on regarde l’arbitre. Le frappeur se trouve chanceux. Moi, je réalise que ce match va se jouer style « classique, post-moderne, contemporain ».

Toute la soirée, la zone des prises a été comme la musique de Steve Reich : minimaliste. On a perdu, évidemment. Je n’ai pas senti utile d’expliquer pourquoi à mon lanceur. Il a quitté le terrain croyant avoir été battu par « Shipshaw Électrique » et un mauvais arbitre.

Moi seul connaissait la vérité : un compositeur américain d’origine juive, né à New-York et habitant à Berlin s’était invité, bien malgré lui, dans un match de balle-rapide au Saguenay.

L’invention dont la planète a besoin

L’invention dont la planète a besoin

Je suis parti courir. Au bout de quelques minutes, j’ai été frappé par un éclair. Un éclair de génie. J’ai trouvé la solution à tous ces échanges de propos aussi virulents qu’inutiles sur les z’internets. Rien que ça.

Mise en contexte. J’ai parfois l’occasion d’assister aux premières loges à ce genre de « « discussions » » (oui, j’ai volontairement mis deux paires de guillemets parce que qualifier ça de « discussions », c’est beaucoup pour une seule). Ma proximité avec une certaine Personnalité-de-la-télévision-québécoise fait que je vois parfois passer des affaires qui laissent songeur.

Par exemple, la dite Personnalité-de-la-télévision-québécoise mettait récemment en vente, disons, « un bien immobilier ». Comme on est à l’époque que l’on est, elle le mentionne dans les médias sociaux, qui, parce qu’on est à l’époque que l’on est, s’enflamment. L’annonce est partagée des centaines, voire des milliers de fois, à grands coups de pouces en l’air, de cœurs et de petits bonhommes jaunes.

Tout se passe bien jusqu’à ce que quelqu’un prenne le temps d’écrire : « Mais c’est donc ben laid », s’attirant, évidemment, un déluge de bêtises de la part des fans de la Personnalité-de-la-télévision-québécoise, au point où l’auteur finira par retirer son commentaire.

Et probablement mettre le feu dans son iPad.

J’en étais à me dire « À quel point ta vie est vide de sens pour trouver essentiel de commenter négativement un condo à vendre », quand j’ai enfin compris : Ces personnes-là ne le font pas volontairement! Elles sont prisonnières. Prisonnières de Facebook, Instagram ou même de la bonne vieille télévision. On les oblige sûrement à regarder des choses qu’elles n’aiment pas et à les commenter. De la torture auto-infligée.

Bouleversé, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour libérer ces pauvres gens. Et j’ai trouvé! Une invention qui assainira une fois pour toutes le discours public.

Suivez-moi bien parce qu’on est dans les affaires complexes. Un grand bond en avant technologique. Je prends l’exemple de la télévision, mais on pourrait facilement adapter le concept aux médias sociaux.

J’imagine un outil qu’on aurait à la portée de la main quand on est devant la télévision. Dans ma tête, c’est comme un rectangle de plastique. Sur l’outil en question, il y a des boutons poussoirs. Je sais que c’est de la science-fiction mais je vois la scène suivante :

Quelqu’un est devant la télé. Apparait à l’écran une personne ou quelque chose qu’il n’aime pas. Au lieu d’être forcé à endurer ces images pour ensuite se fâcher, devenir hors-de-lui et éventuellement émettre un commentaire en forme de bêtise, grâce à mon invention, il pourrait, d’une simple pression du doigts, changer l’image. Pensez-y une seconde : vous avez à l’écran un sirupeux chanteur qui fait du millage depuis 30 ans sur son seul et unique succès. Plutôt que faire de l’urticaire, vous appuyez sur un bouton et l’image change! Instantanément! Vous passez du sirupeux chanteur à, mettons, des châteaux en France. Ou des girafes en liberté. Ou un gars tatoué qui cuisine.

Baisse immédiate de la pression, retour à la bonne humeur.

Il serait même pensable d’avoir un autre bouton, encore plus efficace : le sirupeux individu occupe l’écran. Sans attendre vous appuyez et, miracle, l’image passe au noir, le son tombe à zéro. Plus rien! Disparition immédiate de la source d’irritation. Nul besoin de se pomper et d’aller passer ses frustrations sur un clavier.

Je sais, c’est du génie.

Peut-être même que ça ramènerait le monde vers les livres. Personne ne se fâche contre un livre. Avez-vous déjà entendu dire que des frustrés avaient cogné à la porte de Victor Hugo pour l’engueuler sur la longueur des Misérables ou lui dire que Jean Valjean est un nom trop bizarre? Moi non plus.

J’ai déjà réfléchi à la commercialisation de ce concept révolutionnaire et j’ai trouvé le nom parfait, en m’inspirant de toutes les nouvelles compagnies du secteur technologie qui ont un nom court, « punché ».

Cette fabuleuse innovation qui empêchera tant de commentaires superflus et de chicanes stériles je l’ai baptisé : le bouton OFF.