Un brave

Un brave

 

Je suis parti courir. À Roberval, au Lac-St-Jean, à rattraper le temps perdu pour cause de Covid. En courant le long du lac, je suis passé devant l’hôpital, là où j’ai travaillé mes étés d’étudiant, en 1972, 1973 et 1974. Là où j’ai été un brave.

Vous me direz que pour travailler dans un hôpital, il faut nécessairement être brave. C’est vrai. Mon cas était quand même un peu particulier. La job impliquait de se lancer dans le vide. Littéralement, se lancer dans le vide. Le dos tourné. À 30 mètres de haut.

Mon oncle était Alfred était le patron de l’entretien à l’hôpital. Grâce à lui, j’avais une place dans l’équipe qui nettoyait, l’été, les fenêtres de l’établissement. Toutes les fenêtres. Y’en a 1000? 1500? À l’intérieur, mais surtout à l’extérieur. On est en 1972, avant la CSST, avant les MAT (méthodes appropriées de travail) et les équipements de sécurité. Avant la possibilité de lever la main pour dire « Non, je ne suis pas assez fou pour faire ça ».

Un lundi matin de juin, on se présente à l’atelier, les trois autres gars de l’équipe et moi. Rencontre monsieur Bélanger (qui deviendra vite pour nous Monsieur B), employé « de la maintenance ». Il va nous initier au travail de laveur de vitre. On prépare d’abord le matériel qui tient sur deux chariots : poches de guenilles, éponges, « gratteux » à lames de rasoir, chaudières et des contenants d’ammoniaque qu’on diluera dans de l’eau chaude en guise de nettoyant.

Parlant d’ammoniaque Monsieur B. prend le temps de nous expliquer que l’ammoniaque concentré ça « sent fort ». Alors, pour ne pas déranger l’entourage lorsqu’on le transvide d’une grande urne de verre à des contenants de plastiques plus commodes pour le transport, on s’enferme dans un placard. Faut faire vite en respirant le moins possible.

Des vapeurs d’ammoniaque, concentré calibre industriel, dans un espace clos, pendant plusieurs minutes. Tous les jours pour partir la journée. Est-ce que je vous ai dit que c’était avant la CSST?

J’en étais où? Ah oui, le matériel. Une fois les chariots chargés, il ne manquait que le principal, le harnais. Une ceinture de cuir avec des bretelles, des emplacements pour les outils et deux crochets de métal. L’enfant bâtard d’une ceinture d’ouvrier et d’un accessoire de costume médiéval. Monsieur B. voit bien qu’on ne sait pas trop quoi faire avec ça. Il va nous l’apprendre.

Ascenseur de service jusqu’au 6e étage. On trouve une chambre vide. Monsieur B. ouvre une fenêtre en remontant le bas. Il nous montre deux minuscules crochets sur les côtés extérieurs: « On met le harnais et on sort. On se tient en équilibre, les pieds sur le montant en briques pis on se relève en se tenant après la petite poignée ici. Ensuite, on pose les encrages sur les crochets. Quand c’est fait, il reste juste à se laisser tomber vers l’arrière, la courroie s’étire et vous allez pouvoir laver l’extérieur comme ça ».

Pardon!?!

– Le harnais date d’au moins vingt ans
– Les crochets sont gros comme des dix cents.
– Le montant de la fenêtre mesure deux pouces (je chausse des 11).
– La poignée pour se lever permet de rentrer au plus trois doigts.
o Elle tient par deux vis d’un demi-pouce.
– On est au 6e étage.
– Au-dessus d’un stationnement.

Monsieur B. retient un petit sourire en coin. On est un juin mais je pense que pour lui, c’est un peu Noël.

J’ai regardé le harnais, la fenêtre ouverte, pas trop le stationnement. J’ai réalisé que si je n’y allais pas le premier, je n’oserais jamais le faire. Alors j’ai dit : « J’y vas! ». J’ai enfilé le harnais et je suis sorti. Je me suis relevé en collant la fenêtre comme une sangsue. J’ai accroché les encrages en tremblant et je me suis peureusement laissé aller vers l’arrière en priant pour que ça tienne. Ça a tenu.

Le temps de laisser mes genoux cesser de claquer ensemble j’ai apprivoisé la place. Pas mal comme vue! J’ai fini par rentrer, sous le regard admiratif de mes collègues. Même Monsieur B. a eu l’air de se dire : « il est brave, le flot ».

Je n’ai jamais osé leur dire que ce n’était pas de la bravoure. Juste une bonne gestion de « avoir la chienne ». Faire une bonne première impression, ça vaut cher.

N.B. Toutes les chroniques Parti courir sont disponibles sur le site www.particourir.com

Hal Gill

Hal Gill

 


Je suis parti courir. Un chiffre en tête. 75, 75, 75… Je savais que la prochaine chronique serait la soixante-quinzième (écrit en lettres, ça fait plus sérieux) *. 75 c’est un chiffre important, je devrais trouver quelque chose de marquant.

Rien à faire. Le seul souvenir que 75 m’inspirait c’était un numéro sur un chandail de hockey. Le 75 de Hal Gill.

Ben oui, Hal Gill.

J’ai eu beau essayer de trouver mieux, rien à faire. Alors, Hal Gill ce sera.

À moins d’aimer passablement le hockey, vous ignorez que Hal (comme dans… Halbert?) Gill a joué pendant 16 ans dans la ligue nationale, dont trois avec les Canadiens. Un défenseur dont la principale qualité était d’être grand. Très, très grand. 6 pieds 7 pouces. Et de chausser des patins de taille 24 (j’exagère à peine) où un nombre impressionnant de passes trouvaient le moyen de s’échouer.

Vous savez quand on dit d’un défenseur qu’il est fluide, intelligent avec la rondelle, possédant un grand sens de l’anticipation, avec un tir foudroyant et un don pour faire une passe précise? Personne, non, jamais personne n’a dit ça à propos de Hal.

Et il portait le 75. Pas le 2, le 3 ou le 4 des légendes, pas le 77 des défenseurs mobiles modernes, le 75. Un numéro de dernier de classe pis de « no-name ».

Mais, mais, il avait une très grande qualité, il faisait la job. Tout en bras, en jambes et en bâton. Imaginez que vous êtes un attaquant qui essaie de contourner cette éolienne sur lames. 9 fois sur 10 vous perdez patience et vous envoyez la rondelle au fond de la zone.

Hal Gill est une ode au travail qui est bien fait mais pas élégant. Ce n’est pas un col bleu, c’est le remplaçant de l’adjoint du sous-contractant d’un col bleu. On ne lui demande pas de faire les jobs de talent, Le but de malade en supplémentaire, on laisse ça à Marie-Philip Poulin. Hal, on lui demande de laisser traîner la longue jambe sur la glace pour couvrir le plus d’espace possible.

Pour vous dire, le fait saillant du passage de Hal Gill à Montréal, en plus d’avoir fait lever les yeux au ciel à quelques milliers d’adversaires, c’est une photo, prise en dehors de la patinoire.

Je dois d’abord vous dire que je ne l’ai jamais rencontré en personne mais que pour tout ce que j’ai lu sur lui, c’est un vrai bon gars. Quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux mais qui prend au sérieux ce que les athlètes représentent pour les fans. Le genre qui se porte toujours volontaire pour les bonnes actions.

Alors le voilà un jour à l’hôpital Sainte-Justine avec ses coéquipiers. Une tout petite patiente avait décidé pour l’occasion de se mettre sur son 36 avec sa robe de princesse. Super cute, évidemment.

On fait quoi, quand on est un très grand adulte qui rencontre une princesse? Quand on est un Hal Gill, on sait faire le petit extra qui rendra l’instant mémorable. Il s’est agenouillé et tel un chevalier présentant ses hommages respectueux, a fait le baisemain à sa princesse. Dieu merci, un photographe de La Presse a pu capter la scène.

Son numéro 75 s’est gravé dans ma mémoire, là.

Alors, en hommage à tous les Hal Gill du monde, à tous les « pas trop de talent, ben du cœur », à tous les remplaçants des adjoints des sous-contractants des cols bleus, j’offre la chronique numéro 75 qui comme Hal, fait son gros possible.

*Chronique publiée originalement sur le site www.particourir.com

Faire assemblant

Faire assemblant

 

Les mots qui pompent

Je suis parti courir. Au bout de quatre minutes j’étais pompé. Attention, pas « je pompais », comme dans manquer de souffle. J’étais « pompé », comme dans « pas de bonne humeur ».

Dans mes écouteurs, deux professionnels des médias, du monde de qui on s’attend à un certain standard de français, venait de s’échanger une paire de « faire assemblant ».

– Je gagerais que tu vas faire assemblant d’aimer le film ?
– Pas le choix, tout le monde autour adore alors je vais faire assemblant.

Je pète une coche. Automatique, aucune marge de manœuvre, j’entends « faire assemblant », je me fâche.

Alors, mémo à tous les utilisateurs : journalistes, milléniaux et boomers, animateurs, podcasteurs, monde ordinaire qui utilise des mots, en professionnel ou en amateur (ça fait quand même une catégorie assez large, ça), « à semblant ou assemblant » dans le sens de feindre, simuler… ÇA N’EXISTE PAS!

Il y a un A qui est tombé de sa tablette et s’est trouvé une job confortable devant « semblant ». Je ne sais pas quand et comment mais un bon jour, comme un virus, il s’est imposé. Comme on n’a jamais eu un confinement de vocabulaire, pratiquement tout le monde l’a attrapé. Résultat, maintenant, partout, on fait faussement « assemblant ».

On fait « semblant », pas de « a ». Assemblant ça n’existe que dans un sens, celui de mettre ensemble du monde, des choses. Un exemple? Voilà : J’ai été vu, assemblant les pièces d’un casse-tête. Je faisais semblant d’aimer ça.

Allez donc savoir pourquoi ça m’agresse autant. Même le fait que ça m’agresse autant, m’agresse un peu. Mais j’ai fini par renoncer à être rationnel là-dessus.

Ça et les « ce et cette » des commentateurs du hockey à la télé. « Il a vraiment travaillé fort pour récupérer cette rondelle ». Cette, c’est un adjectif démonstratif, cela signifie qu’on désigne parmi des choix, des options. À ma connaissance, quand Gallagher reprend le contrôle du disque, il n’y avait pas cinq rondelles parmi lesquelles choisir. Il y en avait juste une, « la » rondelle et Brendan l’a récupérée en échange contre trois bleus et deux dents.

Certains soirs, j’admets qu’on jurerait qu’il y a plusieurs rondelles pour les adversaires et aucune pour les Canadiens mais c’est une autre affaire.

Et un dernier mot pour la route? « Malaisant ». J’entends ça (souvent!) et j’accroche à chaque fois.

– Le film? Franchement pas bon. Malaisant même.

Ben là, vérification faite, c’est moi qui suis dans le champ. Malaisant, dans le sens d’embarrassant ou gênant, ça existe. Pas tellement dans les dictionnaires mais la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française en confirme l’utilisation correcte qui est devenue plus fréquente assez récemment, partout dans la francophonie. Alors toutes les fois où j’ai ronchonné en entendant quelqu’un l’utiliser? C’est moi qui avais tort.

Je sais ce que vous vous dites : c’est malaisant.

N.B. Toutes les chroniques Parti courir sont disponibles sur le site www.particourir.com

Les grandes inventions

Les grandes inventions

 

Je suis parti courir. Beaucoup de monde dans les rues, profitant de l’avant couvre-feu. C’est en lisant des choses sur la période de la Deuxième Guerre mondiale que j’ai appris, il y a bien longtemps, le sens de l’expression « un couvre-feu ». Si on m’avait dit qu’un jour je devrais moi-même respecter un couvre-feu, comme vous tous je présume, je ne l’aurais pas cru.

On aura appris ça avec la Covid. Tout comme on a aussi appris (ou eu la confirmation) de la capacité de l’humain à se retourner vite, mettre toutes les ressources de la science et de la créativité ensemble et inventer une solution à un problème apparemment insoluble.

D’ailleurs j’ai en tout récemment vécu l’expérience personnelle. Une application de la science qui règle une fois pour toute une situation mettant en péril ma santé et ma qualité de vie.

Vous pensez que je fais référence au vaccin? Pas du tout! Je parle d’un autre triomphe du génie de l’homme, le gant chauffant.

Oui, des gants qui chauffent. Batteries rechargeables incluses.

Avant de me dire que j’exagère (vous pourrez toujours le dire plus tard) laissez moi vous décrire mon cas. En un mot, frileux. Surtout des mains. Une affaire de famille. Au point où peu importe l’équipement utilisé pour combattre ce fléau, même avec un froid très raisonnable, quelques minutes d’exposition et les doigts me gèlent. Surtout en vélo d’hiver.

Inutile de me donner vos trucs, je les ai tous essayés : les gants, les mitaines, les petits gants dans des gros, les gants dans des mitaines, les mitaines doubles, les mitaines doubles ET des « hots shots », rien à faire. J’ai même eu des semi-gants/semi-mitaines avec une couche de polar et un extérieur en fibre technique, le top de la technologie, pas plus de succès. (Par contre, pour faire le salut en V de Spock dans Star Trek, ça marchait super bien).

Désespéré, je faisais une ultime recherche sur internet quand je suis tombé là-dessus. Des gants dotés d’un réseau de fils qui dégagent de la chaleur. Un peu comme un plancher chauffant. Mais en plus souple. Et pas de tuile. Et pas branchés sur Hydro. Et pas mal plus léger. Bon, finalement, le plancher chauffant c’était peut-être pas un très bon exemple. Mais vous comprenez l’idée.

Quelques clics plus tard la commande était passée. Deux jours après, j’arrachais la boite des mains du livreur. Le temps de les charger et je les portais. Dans le salon c’est pas chic mais à l’extérieur, une merveille!

Depuis deux semaines, je sors mon vélo, je mets mes gants à « on » (pour une fraction de seconde, je me prends pour Iron Man) et je pars sans me soucier de la température extérieure.

Je suis possiblement un peu trop enthousiaste mais je pense sérieusement à proposer la candidature de l’inventeur de ce truc-là pour un prix Nobel. Il me reste à trouver le nom du génie et identifier la catégorie de la mise en nomination. Ça sera peut-être un peu difficile

Au premier coup d’œil, il ne semble pas y avoir une catégorie Prix Nobel de chauffage.

N.B. Toutes les chroniques Parti courir sont disponibles sur le site www.particourir.com

Les blessures pas glorieuses

Les blessures pas glorieuses


Je suis parti courir. Hier. Conditions pas mal idéales pour l’hiver. Moins 8, ensoleillé, à peine venteux. Avec tout ce qu’il faut de couches de vêtement pour avoir assez chaud mais pas trop, tout en ayant la capacité d’adaptation pour les bouts à l’ombre, les bouts au soleil, le vent de face, le vent de dos, etc.
Courir c’est facile. S’habiller pour courir, ça, ça demande de l’expérience.
J’ai fait mon heure et je suis revenu à la maison sans aucune douleur ce qui est tout de même pas mal du tout. Avec le temps, on finit par traîner des petites blessures, des choses qui se gèrent bien. Deux Advil, un peu de glace, une journée de pause et on est comme neuf.

Ça c’est la catégorie « Blessures glorieuses ». Mal dans le cou après 100 kilomètres de vélo, une raideur derrière la cuisse en finissant une course un peu plus longue, boiter un peu au lendemain d’une partie de hockey (quand on peut). Ça fait des choses à raconter pour se rendre intéressant :
– T’as l’air de boiter un peu.
– Oui, j’ai bloqué un lancer avec la cheville au hockey hier.
– Tu joues encore au hockey?
– Oui, chaque mercredi.

(Là je vous fais grâce de tous les « C’est vraiment bon à ton âge », « Formidable de garder la forme comme ça », « Mon Dieu, je ne pensais pas que c’était possible » qu’on fait semblant d’accepter modestement, même si ça fait un petit velours et que, ben oui, l’air de rien, on se vante. Un peu.)

Malheureusement il y a l’autre catégorie, celle des « Blessures pas glorieuses »
– T’as l’air de boiter un peu.
– Moi? Hum, je, ouais, j’ai…
– J’ai rien compris.
– Ben, euh, c’est que… Il vente fort aujourd’hui, hein?

Vous avez évidemment noté l’habile tentative de changer de sujet. Ce que je ne ferai pas avec vous. Ce matin, je me suis levé, justement en ne me levant pas. J’ai déboulé en bas du lit, le dos complétement bloqué.

Je me suis blessé, hier soir. En jouant au Monopoly.
Bon, bon, vous pouvez rire autant que vous voulez.
OK, ça serait assez, là.

Le confinement étant propice aux jeux de société, on s’est acheté un Monopoly flambant neuf qu’on étrennait hier. Le temps d’installer les affaires, de revoir les règlements, de se battre avec les dollars qui collent ensemble et de jouer notre première partie, j’ai passé plus de deux heures, penché dans la même (mauvaise) position. Grosse erreur.

Résultat, impossible de me déplier ce matin. Les choses se sont améliorées après quelques heures. Plus de peur que de mal. Quand même j’ai eu ma leçon, on ne me reprendra plus à pratiquer une activité aussi risquée que le Monopoly sans une installation ergonomique de pointe.

Au moins une consolation, j’ai humilié Mme Ménard. Au bout de deux heures, elle a déclaré faillite après avoir revendu ses maisons, hypothéqué ses terrains et même cédé un convoité titre de propriété pour éponger ses dettes. Un triomphe capitaliste.

Je n’ai eu le triomphe modeste. Vraiment pas.
Ça se pourrait que j’aie reçu un coup de genou dans le dos pendant que je dormais.

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