Est-ce que la course vous a rendu heureux cette année?

Est-ce que la course vous a rendu heureux cette année?

La saison de course s’achève, c’est le moment de faire les bilans de fin de saison et de jeter un regard sur ce que nous avons fait au cours des derniers mois. Il me semble que chez les coureurs, la tendance à voir le verre à moitié vide me semble bien présente. Une course difficile, un abandon, tout cela peut nous apparaître comme un immense bouton dans le milieu du front qui nous empêche devoir le reste. Et pourtant, pourquoi courons-nous? Pour battre un chrono? Pour devancer un adversaire? « L’enjeu de la course est-il de l’emporter sur les autres? N’est-ce pas plutôt de se vaincre soi?[1] » Pas certain que la meilleure façon d’aimer la course c’est en la faisant contre l’autre.

Il ne faut pas mesurer le tout en termes de performance, au contraire, compter les instants de bonheur me semble plus porteur.   Quand vient le temps de faire le bilan de la saison, la question qui me semble importante c’est : qu’elles ont été les moments pendant lesquels j’étais le plus heureux? Qu’est-ce que la course m’a fait vivre et qu’il m’aurait été impossible de connaître si j’étais demeuré sur mon divan à regarder la télé?

Il ne faut quand même pas avoir une vision trop idyllique, courir cela demande de l’effort, le bonheur n’est pas toujours instantané. Quand nous partons jogger dans le froid et dans le noir, ces petits instants heureux se laissent désirer, mais ils finissent par arriver…parfois! Les petits sursauts de bien-être peuvent durer quelques secondes, mais il me semble qu’ils en valent la peine en titi. Pour ma part, mon bilan de saison « moment de bonheur » c’est le suivant :

5) Se perdre avec un groupe lors d’une course en sentier, et se dire qu’un petit raccourci par la route serait bien agréable et que d’être disqualifié une fois dans sa vie, cela serait quand même une expérience différente

4) S’amuser comme un enfant à faire des sprints sur piste, et faire semblant d’être un grand sprinteur

3) Voir le soleil se lever en allant travailler à la couse, et se dire que l’on peut bien y ajouter quelques kilomètres de plus, la job va attendre un peu ce matin

2) Faire un entraînement de nuit en chantant des chansons grivoises, histoire d’éloigner les ours et de se rapprocher des amis

1) Tous les moments de partage avec les amis, les bières prises ensemble, les blagues échangées et les instants où nous ressentons la solidarité.

C’est mon bilan 2021, quel est le vôtre? Moi, j’ai eu une belle année de course.

[1] Leblanc, G. (2012) : Courir, méditation métaphysique, Flammarion; Paris, page 267

Pour un bilan « moment de bonheur »

Mon dernier ultramarathon

Mon dernier ultramarathon

Mon dernier ultramarathon ; le pas de trop.

La passion
La passion de la course est une chose bizarre. Pour ma part, comme plusieurs coureurs, j’aime à peu près tout de la course : j’aime regarder des courses, j’aime voir des vidéos de course, j’aime entendre parler de course, j’aime parler de course.
J’aime toutes les formes de course, la course sur route avec la poursuite d’un objectif précis, la course sur piste, qui est le sport dans sa version la plus pure, la course d’endurance, où la persévérance des coureurs est remarquable et la course de trail qui réunie l’aventure et de solidarité ; tant que c’est de la course, cela me passionne. En fait, quand tu peux passer des heures à regarder des gars qui  tournent en rond sur une piste, c’est un peu trop intense parfois, mais bon, la passion est difficilement contrôlable.
J’aime et j’admire les coureurs et mes préférés ce sont les coureurs d’ultra-trail, quand je vois ces coureurs sautiller entre les obstacles, presque comme s’ils pouvaient voler, je suis pantois devant ce qu’ils réalisent. Pour moi, les coureurs d’ultra-trail, représentent l’image parfaite de la liberté.

Mon dernier ultra
Avec ces images idylliques de coureurs, j’ai débuté les ultras depuis quelques années, avec plus ou moins de succès, disons que ce n’est pas ce qui est le plus naturel chez-moi. Mon dernier défi était un 80K, que d’aventures en perspectives.
Départ dans un décor idyllique avec un lever de soleil sur le fleuve. Les premiers kilomètres proposent une ascension monstre, mais cela semble aller. Pendant les premières heures, le tempo semble bon, je suis même en avance sur ce que j’avais planifié, ce qui est généralement un mauvais signe dans un ultra, mais bon, je m’imagine toujours qu’aujourd’hui, c’est la vraie bonne journée.

À la suite, d’un orage, les conditions deviennent plus difficiles, c’est glissant et de plus en plus technique et comme je suis agile comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, cela se complique. Après un plongeon en double salto dans un ruisseau, je me relève rapidement en tentant de garder un minimum de dignité devant les autres coureurs. Tout devient plus difficile, c’est chaud et humide et comme je n’ai jamais eu le réflexe de m’hydrater et cela se corse, la tête me tourne, j’en arrache, mais je m’accroche. Au 60e kilomètre, je décide d’abandonner, pour me raviser par la suite, je vais m’accrocher.
Dans les derniers kilomètres, j’ai presque l’air d’un coureur normal, c’est ardu, mais c’est le cas pour tous, mais moi, je sais que cela ne va pas. Arriver au dernier ravito, il ne me reste que 10K, l’idée d’abandon est de plus en plus présente. Le premier répondant décide de prendre mes signes vitaux, son verdict est rapide, Il faut prendre la direction de l’hôpital et cela presse, je ne remercierai jamais assez ce gars-là.

Mon dernier ultramarathon

La dérape.
Les heures suivantes ont été compliquées, il y a une image qui me reste, c’est celle de moi qui fais le pont inversé sur une civière pendant de longues minutes en raison de crampes sont intenables. L’équipe complète de l’urgence qui tente de me maîtriser, dont l’urgentologue qui indique ce qu’il faut faire pour me ramener : soluté, potassium, magnésium, insuline, tout y passe, C’est dur, mais après quelles heures, ils y parviennent, je redeviens presque normal.

La ligne fine
J’aime la course, mais maintenant je sais qu’elle peut être très dure. La ligne entre tout donner dans une course et trop donner, cette ligne est très très mince, quelques pas c’est tout. Je ne connaissais pas cette ligne, maintenant je la crains. Je ne serais pas un coureur d’ultra qui sautille entre les obstacles avec aisance, mais bon, il y a plein de belles courses sur route qui reviennent, il devrait y avoir encore plein de bonheur à aller chercher de ce côté.

Mon dernier ultramarathon

Parti courir

Parti courir

Courir après une p’tite fille

Je suis parti courir. Encore. Je cours aux deux jours et ça parait, autant sur la distance que sur la vitesse. Je reviens progressivement là où j’étais quand je courais avec assiduité, genre préparation annuelle pour le Grand défi Pierre Lavoie.

Le temps est nuageux, juste assez frais. Je zigzague de deux mètres en deux mètres avant d’arriver à une piste cyclable pas mal moins achalandée et là, je suis vraiment sur une bonne lancée. Après quatre kilomètres, courte pause quand je me fais dépasser. Par une p’tite fille. Une dizaine d’années, queue de cheval, bandeau, manteau et espadrilles roses. Une p’tite fille.

Elle me dépasse, juste comme moi j’ai prévu reprendre la course, ce que je fais sans hésiter. C’est là que ça dérape. Elle est cinq mètres devant moi. Et on court exactement à la même vitesse! Pareil, pareil. Je vous laisse quelques instants pour visualiser la scène : la p’tite fille en rose qui court, suivie, à cinq mètres, par un bonhomme d’air un peu louche, lunettes noires même s’il ne fait pas soleil, qui reste toujours précisément à la même distance.

Il s’écoule environ cinq secondes pendant lesquelles je trouve ça amusant avant que je réalise « Mon dieu, je cours après une p’tite fille! ».

Je. Cours. Après. Une p’tite fille!

Je suis pris. Si j’accélère, je vais me casser pour la finale, si je ralentis, je brise mon rythme et ce n’est souhaitable. On dépasse un groupe de marcheurs qui doivent sûrement se poser quelques questions. Elle, elle ne change pas de rythme, on est comme deux voitures sur le « cruise control » qui se suivent sur l’autoroute.

Ça roule dans ma tête, pas le temps de penser à ma respiration, je suis dans les aspects moraux, légaux, sociaux de l’affaire, l’impression que ça dure très longtemps. Mais… mais… mais, juste à ce moment-là, la p’tite fille décide de s’arrêter et repartir dans l’autre sens. Problème résolu!

Je la croise. Un peu pour m’excuser, je lui dis en passant « on court à la même vitesse! ». Elle regarde et dans ses yeux c’est très clair : « je ne me venterais tellement pas de ça… ». C’est vrai qu’elle a dix ans, peut-être son premier jogging et elle porte un encombrant manteau. Rose. Force est d’admettre qu’on ne parle pas d’un moment de gloire. Disons que mettre la musique de Vangelis dans Chariots of Fire (vous savez le moment où les gars courent sur la plage?) comme bande sonore des dix dernières minutes, ça serait nettement exagéré.

Mais bon, l’honneur est sauf. En fait, disons plutôt que le déshonneur est évité. De justesse. Et je retiens la leçon. La prochaine fois qu’il y a une mini coureuse en rose dans un rayon de 100 mètres, je me sauve!