Entrevue avec Anne Genest, Écrivaine et Ultramarathonienne

« Le parallèle entre les ultramarathons et l’écriture d’un roman est juste parfait » (A. Genest)

Comment concilier le sport et l’acte d’écriture? Deux passions qui peuvent paraître tellement éloignées aux yeux du commun des mortels. Mais c’est ce que les gens voient de l’extérieur. Nageur, coureur et écrivain, on m’a souvent amené sur ce terrain en entrevue. Combien de fois m’a-t-on appelé le nageur-poète? Rappelant la manière dont les journalistes baptisaient Stéphane Ouellet : le boxeur-poète. Pourtant, il doit exister une filiation entre ce qui semble constituer deux solitudes. Il y a sûrement un dénominateur commun qui relie les deux. L’écrivaine et ultramarathonienne Anne Genest a accepté d’aborder le sujet avec moi et de me parler de ces deux passions : l’écriture et la course à pied.

L’éloge de la lenteur
« Quand je me suis mise à courir, ça a déclenché plein de choses » m’avoue Anne Genest lorsque je l’ai rencontré pour une entrevue le 4 septembre dernier. En effet, l’écrivaine-coureuse-bibliothécaire dit avoir préféré la vitesse, au début, dans l’exercice de la course à pied. Elle recherchait alors le besoin de faire battre son cœur, d’avoir chaud. Cette rapidité lui apportait un côté très libérateur. Mais elle ressent, à un certain moment, le besoin de ralentir. Et l’apprentissage de la lenteur correspond à une philosophie qui est celle d’entreprendre un projet de longue haleine comme, par exemple, l’écriture d’un roman… « Une phrase à la fois, un pas à la fois c’est comme ça que je vais arriver à faire les choses qui sont justes impossibles. Faire un ultra, courir 160 kilomètres, ça semble impossible. C’est ça qui est extrêmement trippant. Quand tu as une histoire dans la tête et que tu t’assoies pour l’écrire, il y a comme un vertige. Tu peux rester figée face à la peur, mais cette peur-là, je la trouve stimulante et je vais foncer dedans. Et c’est tellement le fun ces moments-là. »
Anne Genest trouve de l’inspiration chez l’auteur japonais Haruki Murakami, qu’elle considère comme un modèle important, un mentor. Il est l’auteur d’Autoportrait de l’auteur en coureur de fond qu’il écrit tout en débutant la course, car il ne se sent pas en forme. Il trouve dans ces deux activités physiques (car oui, écrire ça peut aussi être très physique) toute la force et la discipline pour mener à bien son projet d’écriture à terme.

Anne trouve aussi que les deux activités sont très complémentaires. Courir aide à sa concentration : elle peut poursuivre dans l’acte d’écrire, l’élan de son effort physique. Cela stimule la concentration et aide à la discipline tout en lui apportant de la force, mais surtout de la confiance. Car si elle peut courir quand il pleut, quand il neige, en pleine nuit, dans le froid voire dans la grêle, qu’est-ce qui peut bien venir faire peur à la coureuse?

Pourtant elle ne trouve pas l’écriture plus facile pour autant. Anne m’avouera que l’écriture, c’est comme un ultra, ça ne fonctionne jamais bien. Il y a toujours un imprévu, quelque chose qui ne fonctionne pas comme on l’avait imaginé. « Parfois, on chute, on saigne, on se blesse, mais il faut trouver une façon de se relever et de terminer la course. » D’ailleurs, en janvier 2021, elle décide de jeter le roman qu’elle est en train d’écrire et de tout recommencer. Elle en était à plus de 300 pages d’écriture.

« Quand tu cours, tu es tout seul avec toi-même. J’aime courir et nager, car je travaille des idées. Un peu comme un peintre qui vient superposer des couches sur un tableau. »

Bonne humeur toxique et contagieuse
Lorsqu’elle court en forêt, ses sens toujours aux aguets nourrissent son côté créatif. De la goutte d’eau reposant sur une feuille au cerf farouche bondissant sous ses yeux dans la trail, tout émerveille l’ultramarathonienne. Elle transforme d’ailleurs tout ce qui l’entoure en positif, courant ses ultras avec le sourire du début à la fin. À l’été 2020, elle rejoint, à Saint-Rock-des-Aulnais, son conjoint Joan Roch qui a entrepris de rallier la Gaspésie à Montréal à la course. Telle une boule d’énergie ravivant le moral des troupes, l’arrivée d’Anne transforme le périple difficile de l’ultramarathonien Joan Roch en une grande réussite. Elle se surprend d’ailleurs d’avoir pu accompagner Joan sur une aussi grande distance. 50 km par jour pendant 5 jours. Encore une fois son côté souriant et positif jumelé à ce grand accomplissement la fait gagner en confiance.

« C’est dans de longues courses comme un ultra que l’on peut voir la vraie nature des gens. Lorsqu’on s’embarque dans ce genre d’aventure, on est fatigué voire irritable. On a le choix de chialer et de vivre notre mauvaise humeur… mais puisqu’il faut bien terminer, on a le choix de transformer l’expérience en quelque chose de positif avec le sourire aux lèvres. On parle aux animaux, on transfert tout le négatif en positif. »

Même dans ses livres, ses personnages, dotés d’un grand romantisme tout comme l’écrivaine, ne se laissent pas impressionner par la démesure. Peut-être qu’Anne rêve toujours qu’un jour, son amoureux osera, dans un geste fou, lui décrocher la lune :
Un peu plus tard, au jardins des Écluses, il se penche sur mon visage, caresse de ses doigts ma nuque, s’arrête sur mon oreille, me chuchote : « Là, maintenant, regarde droit devant. » Les lumières de l’enseigne Farine Five Roses se sont éteintes. Pendant quelques secondes, tout est noir. Puis, une à une, les lettres A, N, E apparaissent, le temps d’un battement de paupières, le temps d’une hallucination.
(Fécondes, p.18)

Entrevue avec Anne Genest

Bibliographie d’Anne Genest
Les papillons boivent les larmes de la solitude (nouvelles)
Fécondes (autofiction)

En production :
La sueur est un désir d’évaporation (roman sur la course à pied et le couple)

https://www.leslibraires.ca/livres/les-papillons-boivent-les-larmes-de-anne-genest-9782895024163.html

https://www.leslibraires.ca/livres/fecondes-anne-genest-9782760948082.html

Photos d’ Olivia Laperrière-Roy/UTHC et d’ Audrée Wilhelmy

À propos François-Bernard Tremblay

Nageur en eau libre de longue distance, adepte de nage en eau glaciale, il est aussi demi-marathonien en course à pied. Bien qu’il court parfois en sentier, il a un petit penchant pour la course hivernale et les circuits routiers. Il est l’auteur d’un essai sur la natation l’Aventure de l’eau libre et comme romancier de thrillers, de la série Nick Jarvis (Sutures).

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