Le rêve fait partie des accessoires essentiels des coureurs et coureuses, on devrait en contrôler la quantité aux stations de ravitaillement afin de s’assurer que la personne puisse terminer. Nous avons tous été marqués par des moments inoubliables, des performances qui nous ont obligés à nous pincer en se disant, ce n’est pas vrai ce qui se passe, je ne pensais jamais qu’un être humain pourrait faire cela, et pourtant, parfois l’impossible arrive.
Pour ma part, mon imaginaire de coureur a été marqué une première fois par les images d’Abebe Bikila, remportant le marathon des Jeux olympiques de Rome, pieds nus, libre et heureux. J’ai regardé cette course au moins cent fois, et chaque fois j’ai l’impression qu’Abebe gambade calmement en laissant tout le monde derrière lui, cette course-là, c’est un homme libre qui l’a gagné.
Il arrive que le rêve soit berné, je me souviens d’un moment particulièrement cruel, et je me revois sur le bord d’un feu de camp au camping Tropicana a regardé les olympiques de Séoul sur un téléviseur à piles. Le signal était mauvais, je devais orienter l’antenne de ma télé noir et blanc chaque minute, mais j’ai réussi à voir un homme voler pendant 9:79 secondes. Malheureusement, il volait aux stéroïdes, probablement comme tous les autres qui étaient à la ligne de départ avec lui, ils nous ont tous eu.
La course au Québec a aussi été marquée par des moments qui vont rester dans ma tête ad vitam æternam. Il y a la performance de Jacqueline Gareau qui gagne le marathon de Boston, devancé seulement par une coureuse qui avait pris le métro. Elle est repartie avec sa médaille d’argent, n’insistant pas, laissant le temps faire son temps, la justice a cheminé lentement et elle a retrouvé sa première place, quelle dignité.
Il y a un de ces moments marquants avec lequel je me vante d’avoir une relation toute personnelle, c’est celle du marathon de d’Ottawa en 2h14 d’Alain Bordeleau, une marque qui demeure intacte encore presque de 40 ans plus tard. Quelques années auparavant, je m’entraînais avec son club, Regina Mundi et il m’arrivait d’être au départ des entraînements avec lui. J‘étais avec quelques autres membres du groupe de ‘’la relève’’, beau titre pour dire que nous n’étions pas encore vraiment assez rapides pour suivre les meneurs. À chaque départ, je me disais, cette fois, je m’accroche, je vais le suivre, je vais y arriver, mais cela ne s’est jamais produit. Après sa performance exceptionnelle, Alain aurait pu nous quitter pour aller aux ‘’states’’ et faire la grosse tête, il est demeuré ici, humble et réservé.
Il y a encore de ces marques qui alimentent nos rêves. Plus récemment, en course en sentier, je me souviens d’avoir croisé Maxime Leboeuf en 2019 alors qui venait de gagner le championnat canadien en courant 110 kilomètres et en établissant un record de l’épreuve. Pour ma part, je venais de terminer le 80K, c’est donc dire qu’il avait plus de 30 kilomètres d’avance, il était frais comme une rose, prêt à repartir, simple et gentil, comme si ce qu’il venait de faire était tout simple.
En ces temps de pandémie, les rêves sont malmenés, disons qu’il faut de l’imagination pour en avoir, mais il y en a qui persiste. Un gars de l’Outaouais, Éric Deshaie a décidé de faire 10 marathons et 10 qualifications de Boston en 10 jours, comme si de rien n’était, juste pour le fun, un bon moyen de se remettre en forme après avoir résisté à la Covid.
J’aime la course pour tous ces rêves qu’elle apporte, il m’arrive encore de me prendre pour Abebe Bikila, je m’imagine courir pieds nus dans les champs, jusqu’à ce je doive arrêter, car je suis trop essoufflé pour continuer, ou encore que je doive rattacher mes lacets, mais bon, j’ai fait un maudit beau rêve pendant quelques secondes, ce n’est pas rien quand même.