Et si c’était vrai!

Et si c’était vrai!

Lagezelle

Et si c’était vrai, c’est le titre d’un de mes livres préférés de Marc Lévy. Il est bien
INSPIRANT pour moi, pas l’histoire comme telle, mais le fait que l’impossible peut devenir
possible. Voilà, bientôt 20 ans que je suis au Québec et je ne cesse de me surprendre.
Pour commencer ce nouveau chapitre de ma vie avec vous, quoi de mieux que de se
rappeler d’où je viens.

La peur au ventre

Gisèle Mpaka

Née au Rwanda, j’avais seulement 8 ans quand ma vie BASCULANT en même temps que celles des autres dû au génocide de 1994 dans mon pays d’origine. Dès lors, diverses expériences feront l’entrée dans ma jeune vie et elles vont se succéder sans fin: deuils, pertes, déracinement, peurs, migrations, violences sexuelles, exploitations, etc.

La vie au Québec

Gisèle Mpaka

Lorsque j’arrive au Québec à 16 ans, j’ai le double de l’âge que j’avais en 1994, mais aussi j’aurais vécu l’immigration deux fois avant mon arrivée. Au Congo pour commencer et en Ouganda par la suite. Au Rwanda, j’étais rwandaise. Au Congo, on était avec ma famille considérée comme des immigrants volontaires. Et en Ouganda, on était pris en charge, avec mon frère, comme réfugiés dans un camp au nord du pays. Dans ce parcours, j’y perdrai plusieurs plumes, mais j’y GAGNERAI aussi des connaissances comme les langues, par exemple.

Mais en gros, j’arrive ICI avec une expérience de vie plutôt lourde à porter. Elle est tellement condensée que j’ai l’impression d’avoir vieillie tout en n’ayant jamais bougée de mon enfance. J’arrive vide. Vide de vie, vide d’identité, vide de cœur. Je suis une adulte quant à mes instincts de survie, mais dans le corps d’une petite fille de 8 ans.

À ce stade-ci vous vous dîtes peut-être: « mais où est la course à pied dans tout ça? Ce n’est pas un blog pour ça? » Patience, j’y arrive!

La vie dans la vie
Les premières années ici, je n’arrivais pas à vivre. J’étais morte en dedans. Inconsciemment, je n’avais plus le goût de vivre. J’ai compris plus tard qu’en réalité j’avais tellement de traumatismes que même si j’avais voulu vivre, je n’aurais pas su par où commencer. Tout mon corps, en fait ma vie au complet, voulait une PAUSE. Mais même si la volonté de vivre de cette petite fille était belle et bien étouffée par son passé, elle n’était pas morte.

Donc, la seule chose (pas la seule, pour être honnête, mais une des choses) qui manquait à Lagazelle pour courir cette nouvelle vie, c’était le temps. Et c’est ici que des liens se font avec la course à pied. En tout cas, je pense que c’est là que j’ai commencé ma course contre la vie imposée et pour la vie choisie. J’avais seulement besoin de temps pour me reposer et reprendre un peu de souffle. Le premier cadeau que le Québec m’a fait en me recevant comme réfugiée n’était pas d’aller enfin à l’école ni de réussir dans la vie ou un truc du genre, mais simplement le fait de pouvoir souffler. Je pouvais arrêter de m’inquiéter constamment pour ma vie. J’ai donc profité de ce temps tranquille pour me sentir à nouveau en sécurité et pour oser sortir de ma coquille. Ça prendra aussi un peu/ beaucoup de temps pour se faire confiance et faire confiance aux autres. Je pense que vous l’avez compris, j’avais besoin de TEMPS TOUT COURT!

Renaitre et grandir
Aujourd’hui, le temps a passé. En fait, pas mal de temps a passé. Et c’est sur ce continuum que j’ai croisé la course à pied comme telle. J’ai vraiment l’impression que j’étais faite pour devenir une coureuse. La différence c’est qu’avant je courais pour fuir et aujourd’hui je cours pour embrasser la vie. Lorsque je cours dans les montagnes des nuits durant, ce n’est pas pour le classement, même si bien sûr je vais au moins finir la course, mais c’est pour CÉLEBRER cette vie que j’ai eu sans la mériter et qui bouillonne en moi plus que jamais. Lorsque je me sens fatiguée pendant mes longues courses, je ralentis, je prends une pause, mais je n’arrête pas. Et quand je fais le témoignage de mon parcours migratoire, ce n’est pas pour ressasser le passé et ses souffrances, mais bien pour réaliser le chemin parcouru depuis « le temps » et de m’encourager tout en encourageant les autres, au passage, à continuer à avancer.

Ce principe de se donner le temps ressemble beaucoup à ce que vous allez entendre lorsque vous voulez vous mettre ou remettre à la course à pied. Certains vous conseilleront de se laisser du temps et d’autres vous diront de s’écouter. C’est le même conseil que je vous donnerais si vous me demandiez à quand les progrès. Et si on pousse plus loin la comparaison entre la course et la vie, certains peuvent avoir l’impression de courir sans arrêt ou d’être dans un entraînement intense sans fin. D’autres pourraient être plutôt confortables dans leur course. Il y en a même qui sont en arrêt depuis un bout. Peu importe la phase dans laquelle vous êtes, je vous encourage à PERSEVERER. Aussi, on vous dira de vous donner du temps lorsque vous vivez, par exemple, une rupture; un deuil; un rétablissement d’une maladie ou d’une chirurgie; un découragement; etc. Ne jetez pas de pierres à ceux et celles qui vous le disent. C’est vrai que le temps aide, mais c’est vrai aussi que lorsque nous sommes dedans nous ne voulons rien savoir de ce que demain nous apportera comme remède. Ce que nous voulons, nous le voulons aujourd’hui.

La vérité est que oui, j’ai passé des moments sombres. Oui, j’ai laissé tomber plusieurs fois. Oui, j’ai haï le monde entier pour mes misères. Et oui, je me suis découragée sur cette route qui mène à la vie que je voulais vivre, mais dès que j’avais un peu de force, je mettais un pied devant l’autre. Comme pour la course à pied, s’il y a une ligne de départ, c’est qu’il y a une ligne d’arrivée. Bon dans mon cas (peut-être le vôtre aussi), il n’y a pas qu’une seule ligne d’arrivée, c’est plusieurs petites victoires qui me rapprochent doucement mais sûrement d’une vie qui est de plus en plus au présent qu’au passé. Comme pour la pratique de cette activité sportive, quand je me blesse, je me soigne et je reprends tranquillement mes courses. Je ne vous promets pas une vie sans défis et sans problèmes, mais je vous assure qu’il est vrai qu’on peut se relever de chacun d’eux et POURSUIVRE SA ROUTE!

Gisèle Mpaka

Courses Folles | Épisode 2 – Le Club de Course

Courses Folles | Épisode 2 – Le Club de Course

Andréanne Poisson Robert

Nico court tout devant le peloton. Ses petits shorts flottent au gré de ses mouvements fluides. Lui, il est né pour courir. En fait, il ne court pas, il vole. J’attends incessamment une intervention de la NASA: objet volant non identifié se baladant illégalement au parc Pélican…

Il nous a convaincus de nous inscrire au club après qu’on ait celé notre fameux pacte avec Joël et Marie. Je l’entends encore s’exclamer : Engagez-vous! Des intervalles, ça tient en forme, qu’il disait… Je me suis fait avoir comme un légionnaire romain dans Astérix.

− Quand ça fait mal, on en remet une couche! s’époumone le coach entre deux coups de sifflet. Il porte fièrement des bas de compression turquoise jusqu’aux genoux. Sa voix doit gagner deux tons avec tout le sang comprimé dans ses mollets. Marc Hervieux en serait jaloux.

− Joanie, tu arrêtes de compter les nuages et tu lèves les genoux plus hauts.

Merde, moi qui pensais m’être positionnée stratégiquement derrière l’arbre pour échapper à l’œil du lynx. Échec total. Me voilà à découvert. L’odeur de ma peur m’a trahie. Le coach la sent à des kilomètres à la ronde.

Up, up je lève les pieds. Encore deux intervalles. Il fait une chaleur écrasante et on court depuis plus de 40 minutes autour de la piscine municipale!! Notre entraîneur a dû suivre sa formation à Guantanamo. Chaque fois que je passe devant les grilles de la piscine, il y a cette même gamine qui mange son cornet de crème glacée avec une lenteur exaspérante. Je me surprends à espérer qu’elle se foule le poignet et que sa boule choco-vanille tombe et roule vers moi. À regarder mes collègues dans le peloton, les couteaux voleraient bas, ne serait-ce que pour une lichette du Saint Graal. Il n’y a que Nico l’air de rien, qui semble s’amuser. Il n’a pas, contrairement aux simples mortels, les jambes recouvertes de bouette, d’immenses auréoles sous les bras et le visage crispé d’avoir frappé un mur. J’envie mortellement Marie et Joël qui sont partis « se ressourcer » près d’une plage au Nicaragua.

Enfin, plus que 25 mètres. Je me permets même un petit sprint pour rattraper Nico, question d’honneur. Il me regarde en souriant. Je le dépasse avec l’énergie de l’orgueil. Wahhoo! Je tombe pratiquement dans les bras du Coach. Étonné par mon arrivée peu gracieuse, il s’exclame tout de même : Bravo les Autruches! C’est maintenant l’heure de la surprise.

Une surprise! Ne me dites pas que Coach Guantanamo en personne nous aurait apporté une bière froide! Finalement, je l’aime bien le bonhomme. Derrière sa moustache de dictateur se cache un homme au grand cœur.

− Vous me faites deux montées de la butte en R4 et c’est ma fille qui chronomètre.

La gamine choco vanille s’approche, le visage collant de crème glacée, un sourire sadique aux lèvres. Je n’en reviens pas! C’est sa fille! Comme quoi, la pomme ne tombe jamais loin du geôlier. Et c’est reparti pour un tour!

Faut toujours se méfier des surprises, me glisse Nico à l’oreille. Ouais mes pauvres jambes commencent à le comprendre. Hop hop une dernière montée, les cuisses en feu.
− À la semaine prochaine, coach!

Dans le fond, j’aime ça souffrir. Surtout quand c’est fini.

 

Courses Folles | Épisode 1 – Le pacte

Courses Folles | Épisode 1 – Le pacte

Andréanne Poisson Robert

Je passe les portes de l’université et tombe des nues en voyant la longue file de spectateurs zigzaguant devant la salle Judith Jasmin. L’affiche colorée de la Tournée mondiale du Festival du film de montagne de Banff détonne du gris ambiant des longs corridors.

−Hey Joanie, par ici!

Je reconnais aussitôt mes trois comparses de course. Ils me sourient à pleines dents. Nico domine les autres par sa grande taille élancée, Marie me fait d’énormes signes de la main, accrochant au passage le chapeau du monsieur derrière elle, tandis que Joël se balance d’une jambe à l’autre incapable de rester en place.

−Je n’ai jamais vu autant d’amateurs de plein air au mètre carré, je lance en balayant la salle du regard.

Ils sont facilement reconnaissables avec leur manteau Arc’teryx aux couleurs vives, des bottes Merrell aux pieds et un mélange de noix du randonneur à la main. Ça me fait penser, je dois bien avoir une barre Cliff dans mon sac à dos…

−Je ne peux pas croire que tu n’étais jamais venue. Tu vas voir, il y a une vie avant le festival et une vie après le festival!

Marie, l’éternelle optimiste, a toujours une anecdote amusante à raconter, même en courant. Tellement qu’elle a fini la Color Run la langue multicolore, ce qui nous a fait rire pendant des jours.

Les lumières s’éteignent et dès les premières images de la bande-annonce, je sens mon poil de bras se hérisser. Je suis hypnotisée par les images à couper le souffle, les athlètes au sommet de leur art et la musique parfaitement rythmée. Skieurs, grimpeurs, cyclistes, coureurs, surfeurs, tous les amoureux de plein air se surpassent et m’envoient une dose d’adrénaline rarement ressentie au cinéma.

Deux heures plus tard, j’ai à peine eu le temps de reprendre mon souffle que les rideaux en velours rouges se referment. Les spectateurs, la tête pleine de projets, se dirigent vers la sortie. J’enfonce ma tuque sur ma tête et repense aux paroles de Marie. Effectivement, il y a une vie avant et une après le festival.

Une petite neige tombe sur la rue St-Denis et on décide de prolonger la soirée au Saint-Houblon. Notre table près de la vitre nous permet d’observer la faune montréalaise du samedi soir.

−Mon court-métrage préféré c’est celui de l’homme de 97 ans qui court le mont Washington année après année, en souvenir de sa femme décédée.* Dire qu’à 30 ans, je trouve mon corps lent à récupérer. C’est un méchant phénomène, s’exclame Nico après une gorgée de bière.

−On sait bien, tu ne peux pas courir sans tes bas de compression ni ta crème analgésique. Ça va être beau à cet âge-là, se moque Marie.

− N’empêche, ça nous met une pression énorme des gens comme ça. En plus d’être un athlète à plus de 90 balais, faut aussi être romantique, soupire faussement Joël.

Après une soirée aussi intense, je me sens gonflée à bloc et prête à courir un ultra marathon.

Comme s’il avait lu dans mes pensées, Nico dit :

− On devrait se trouver un défi à relever.

Chacun acquiesce. Je tourne machinalement les pages du programme du festival à la recherche d’inspiration, lorsqu’ une bourrasque glaciale fait soudainement virevolter nos serviettes de table. Deux touristes viennent d’entrer dans le bar et s’empressent de refermer la porte. Ils ont l’air de deux Quasimodos avec leur gros sac à dos recouverts de neige. Je souris en remarquant qu’ils sont tous deux en running en plein hiver.

− Ça y est je l’ai! On se donne un an pour compléter une course sur chaque continent, je m’écrie.

Les autres me dévisagent. Puis je reconnais dans leurs yeux l’étincelle d’excitation qui précède un défi à surmonter.

−Et puis, pas n’importe qu’elle course, elle doit être originale! précise Nico.

−Comme quoi? J’ai mal au cœur juste à repenser à la Choco course.

−Il y a la course de Un kilomètre en talon haut. Je te verrais bien en escarpin Joël! je rigole.

−Ou celle des serveurs à Paris… Ça va être beau, Joanie n’est même pas capable d’apporter un verre d’eau sans qu’on ne sorte nos parapluies.

Toujours enivrée par les courts-métrages et par l’alcool, je dis d’un ton solennel :

−À notre année de courses folles!

On lève nos peintes de bières et scellons notre pacte en buvant une longue gorgée. Que l’aventure commence!

*For the Love of Mary – 2018